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Mourir de fatigue, littéralement

Saviez-vous que vous pouviez mourir de fatigue ? On ne parle pas ici des dangers de vous endormir au volant de votre voiture ou d’opérer de la machinerie lourde le lendemain d’une grosse soirée, mais bien d’une maladie extrêmement rare qui empêche physiologiquement la personne qui en est atteinte de dormir. Pour vous rassurer tout de suite, les chances sont très faibles que cela vous arrive, considérant que seulement quelques familles dans le monde sont à risque. Mais oui, vous avez bien lu, il existe bel et bien une maladie du nom d’insomnie fatale familiale qui tue en gardant éveillé.e !

Par Annabelle Poulin, journaliste collaboratrice et membre du Groupe d’Intérêt en Neurologie.

Ce n’est pas un secret, le cerveau est un organe plein de mystères. Il peut être à l’origine de toutes sortes de pathologies, certaines plus connues et d’autres un peu moins. C’est le cas des maladies à prions, plus particulièrement l’insomnie fatale familiale.

Physiopathologie

Les maladies à prions sont un groupe de maladies qui entraîne des changements neurodégénératifs, progressifs, puis éventuellement mortels. Ces maladies sont malheureusement encore incurables en date d’aujourd’hui.

Notre cerveau fonctionne grâce à l’interaction de plusieurs protéines. L’une d’entre elles se nomme la protéine prion cellulaire. Dans les maladies à prions, cette dernière a une conformation anormale qui la rend insoluble dans l’eau et très résistante à la dégradation par les protéases, des enzymes qui dégradent les protéines (contrairement à la protéine prion cellulaire saine). De cette malformation résulte donc une accumulation et éventuellement, une mort de ces cellules. En effet, l’accumulation de ces protéines entraîne une gliose puis une spongiose dans le tissu cérébral, la prolifération excessive de cellules autour des neurones et la formation de trous dans le tissu nerveux du cerveau qui lui donne un aspect « spongieux ». Cela a évidemment des conséquences non négligeables sur le cerveau, comme l’apparition d’une démence qui progresse rapidement et d’autres déficits neurologiques, comme des difficultés d’attention ou un déclin cognitif.

Épidémiologie

Maintenant que la physiopathologie de ce groupe de maladies est plus claire, entrons dans le vif du sujet. Comme mentionné précédemment, l’insomnie fatale familiale est une maladie extrêmement rare qui ne touche qu’une cinquantaine de familles dans le monde. Comme la plupart des maladies à prions, la transmission est autosomique dominante, c’est-à-dire qu’il faut seulement qu’un des exemplaires du gène aille l’anomalie pour que la personne soit porteuse de celle-ci. Il s’agit donc d’une maladie héréditaire. Toutefois, une personne qui est porteuse de la maladie ne développera pas nécessairement des symptômes au cours de sa vie. Il existe aussi des formes plus sporadiques de la maladie qui ne correspondent pas à certaines des causes énoncées. Quelques personnes ont, par exemple, eu la maladie sans avoir la mutation génétique. La maladie se développe plus tard et les personnes atteintes vivent généralement plus longtemps. De plus, l’insomnie est moins intense que dans la forme familiale, mais tout aussi présente.

La maladie se présente généralement entre l’âge de 20 à 61 ans, autant chez les hommes que chez les femmes. Quand le diagnostic est posé, le pronostic est plutôt sombre, la personne qui en est atteinte ayant seulement 18 mois à vivre en moyenne.

Signes et symptômes

Le symptôme initial de la maladie est évidemment l’insomnie. Cette dernière s’empire au fur et à mesure que la maladie progresse. Le patient présente aussi des dysfonctions qui touchent particulièrement le système nerveux sympathique. Ce dysfonctionnement peut se présenter par une respiration plus rapide, une augmentation de la fréquence cardiaque, de l’hypertension artérielle, de la constipation, une transpiration excessive, de la dysfonction sexuelle ou des variations de températures corporelles. On retrouve également des dysfonctions neuroendocriniennes, comme une élévation d’hormones (dopamine, adrénaline et noradrénaline) dans le sang, des dysfonctions de sécrétion de la prolactine (l’hormone qui intervient, entre autres, dans la lactation), de la mélatonine (l’hormone du sommeil) et de l’hormone de croissance.  Plus la maladie avance, plus il y a une perte du rythme circadien autonomique, qui est l’horloge interne du corps, et des rythmes neuroendocriniens, ce qui a pour effet d’empirer les dysfonctions précédemment décrites.

Quelques théories avancent que des lésions à l’hypothalamus, la région du cerveau qui fait la connexion entre le système nerveux autonome qui s’occupe des fonctions involontaires du corps et le système endocrinien qui s’occupe des hormones, pourraient être à l’origine de certains des symptômes. Les liens de ces lésions avec la maladie ne sont pas encore totalement compris. L’un des noyaux de l’hypothalamus pourrait être en cause. Les nerfs qui proviennent de cette région du cerveau contrôlent entre autres le sommeil NREM, la thermorégulation, le rythme circadien (horloge interne) et les différents organes qui leur sont associés. Les chercheur.euses ont aussi remarqué que les protéines prion se déposaient beaucoup dans le thalamus, ce qui pourrait justifier l’implication de cette structure dans la physiopathologie de l’insomnie fatale familiale.

Il y a aussi une accumulation de protéines prion dans le tronc cérébral. Cela peut se traduire par des conséquences sur les nerfs crâniens. Cette accumulation peut amener les patient.es en début de maladie à, par exemple, voir double et éventuellement développer de sérieux problèmes d’élocution.

Comme mentionné plus haut, l’accumulation de protéines entraine des changements irréversibles dans le tissu du cerveau, soit de la gliose puis de la spongiose. Cette atteinte du cortex peut se traduire par des difficultés d’attention ou un ralentissement du processus de la pensée. Il peut aussi y avoir des troubles de la mémoire à court terme, qui, éventuellement, évolueront vers des déficits neurocognitifs plus importants.

D’autres symptômes se présenteront éventuellement chez ces patient.es, comme une perte de coordination progressive, une perte de poids, des changements de comportements subits (surtout en lien avec le manque de sommeil), des changements dans le tonus musculaire, de la faiblesse ainsi que des mouvements anormaux et involontaires.

Évolution

L’insomnie fatale familiale peut être comprise en 4 stades distincts. Le premier est marqué par l’arrivée de l’insomnie qui devient de pire en pire avec le temps. Cette insomnie va notamment causer des symptômes psychiatriques comme des phobies, de la paranoïa et des crises de panique. Le deuxième stade, qui dure environ 5 mois, est défini par l’hyperactivité du système nerveux sympathique. L’insomnie va s’empirer de plus belle et être accompagnée de symptômes psychiatriques comme des hallucinations. Le troisième stade est caractérisé par une incapacité totale et définitive à dormir et une dysfonction complète du cycle de sommeil. Il dure environ 3 mois. Finalement, le stade 4, qui dure au moins 6 mois, est marqué par un déclin cognitif rapide et de la démence. Éventuellement, celui-ci sera suivi par un coma et le décès du.de la patient.e.

Diagnostic et traitement

Les investigations de cette maladie sont centrées autour des analyses génétiques. En effet, il faut rechercher la présence de la mutation précise de la protéine prion dans le bagage génétique de la famille. En termes de traitement, vous aurez compris que c’est assez limité. Il s’agit plutôt de mesures de support qui tentent de réduire le plus possible les symptômes. Il est aussi très important de faire de l’éducation aux patient.es et à la famille et de les référer en psychothérapie.

L’insomnie fatale familiale est une maladie très rare, mais très souffrante pour les patient.es et leur famille. Ces dernier.ères ont besoin de beaucoup de soutien. Comme pour toutes les maladies à prions, il est important de poursuivre les recherches médicales afin de potentiellement de trouver un traitement ou un moyen de peut-être ralentir la progression de la maladie.

Médiagraphie

Khan, Z., Bollu, P. C. (2023). Fatal Familial Insomnia. StatsPearl. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK482208/

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Benarroch, E.E. and Stotz-Potter, E.H. (1998), Dysautonomia in Fatal Familial Insomnia as an Indicator of the Potential Role of the Thalamus in Autonomie Control. Brain Pathology, 8: 527-530. https://doi.org/10.1111/j.1750-3639.1998.tb00174.x

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