Le «printemps de Beijing», 25 après

Le sang n’a pas encore commencé à couler à 22 h, le 3 juin 1989, sur la place Tiananmen. Sur cette grande terrasse se trouvent des milliers d’étudiants en grève de la faim depuis le mois dernier. Ils y ont érigé une statue de la Liberté en guise de symbole de leurs revendications. Et comme plusieurs centaines d’entre eux, elle s’effondrera sur les pavés ensanglantés au cours de la nuit.

Parce qu’un peu après 23 h, les soldats inexpérimentés du 38e corps de l’Armée de libération du peuple se dirigent vers la masse étudiante avec pour mission de la balayer à coups de tanks et de Kalachnikovs. Voilà comment, 25 ans plus tôt, la Chine a connu un « printemps » plus rouge qu’« érable ». Pour mieux comprendre ce qui fait l’un des tabous de la société chinoise, je vous propose un retour rapide sur le fil à la répression de 1989.

Le 9 septembre 1976 à Beijing, la place Tiananmen vire au blanc, couleur traditionnellement associée au deuil. Pourquoi ? Des milliers de citoyens vêtus de blanc s’y réunissent après la mort du chef d’État Mao Zedong. Son successeur, Hua Guofeng, ne parvient pas à enrayer la montée en puissance de Deng Xiaoping, 74 ans, qui prend finalement les rênes du pouvoir 5 mois plus tard. Deng relance alors les «Quatre Modernisations», soit un plan de mises à jour économiques, diplomatiques et politiques.

Ces modernisations passent en partie par l’ouverture économique du pays. Fini les communes populaires et les quotas de production imposés par l’État; les paysans redeviennent petit à petit propriétaires de leurs lopins de terre et des richesses qu’ils en tirent. Résultat : la production monte en flèche! En 1980, on crée les «Zones économiques spéciales» : Shenzhen (à la frontière de Hong Kong), Zhuhai (près de Macao), Shantou et Xiamen (au large de Taïwan). Le gouvernement permet alors aux entreprises étrangères de s’y installer dans des conditions avantageuses, en échange du transfert de leurs technologies à la Chine.

L’ouverture est aussi diplomatique. En 1979, le président chinois Deng Xiaoping se rend aux États-Unis. Le geste, très symbolique, marque le début de l’intensification des relations sino-américaines. Notons que ces relations seraient restées sur la glace si les États-Unis n’avaient pas préalablement reconnu la souveraineté de la Chine sur Taïwan un an plus tôt.

Pendant ce temps, Deng Xiaoping tire les ficelles du jeu politique pour marquer la fin de certaines politiques maoïstes. De ce fait, les auteurs de la révolution culturelle, lancée par Mao, sont condamnés à mort (ils seront graciés deux ans plus tard). Mais cette démaoïsation ne rime pas avec l’avenue de la démocratie. La preuve, le chef du mouvement démocratique Wei Jingsheng est condamné à 15 ans de prison.

Ces «Quatre Modernisations», résumées ici très brièvement, s’accompagnent d’une légère ouverture idéologique. Par exemple, les militants intellectuels qui critiquent l’appareil étatique ne vont plus systématiquement en prison. Les changements qui touchent la Chine du début des années 1980 créent des attentes au sein de la population, qui espère la venue d’une «cinquième modernisation», celle de la démocratie. Une attente rationnelle puisqu’elle serait la suite logique des réformes nouvellement implantées. Le peuple croyait aussi que Hu Yaobang, réformateur au Parti communiste et militant pour la liberté d’expression, pouvait implanter la démocratie. Mais des tensions internes mènent cependant à l’expulsion de cet homme apprécié par la population.

Le 15 avril 1989, le réformateur Hu Yaobang meurt d’une crise cardiaque. La ficelle qui conduit au baril de poudre à canon vient de s’allumer. Partout au pays, les étudiants, puis les ouvriers se lancent dans des manifestations spontanées. Le pouvoir tente de calmer le jeu en annonçant des funérailles nationales le 22 avril pour celui qu’ils ont évincé quelques années plus tôt.

Mais à partir du 18 avril, la place Tiananmen devient le théâtre d’une première grande manifestation, un sit-in à la chinoise. Ailleurs au pays, les manifestations tournent au vinaigre, notamment au Tibet.

Dans les jours suivants, on annonce la venue en mai du président russe Mikhail Gorbatchev. Les étudiants en profitent pour initier une grève de la faim. Le monde les observe à travers les lentilles des caméras d’une foule de journalistes. Le Parti communiste entreprend alors des discussions avec les manifestants, leur demandant de «réfléchir calmement» et affirmant que «beaucoup de choses peuvent être résolues»…

D’importantes turbulences au sein du Parti amènent alors le passage de l’approche diplomatique à l’option militaire dans le règlement du conflit. Ainsi, le 20 mai 1989, les chars d’assaut chinois sont aux portes de la capitale. Les contestataires les repoussent sans violence jusqu’au 4 juin, à environ 23h, soit le moment où, 25 ans auparavant, les soldats du 38e corps de l’Armée de libération du peuple ont fait passer la mire de leurs fusils du ciel aux contestataires.

Aujourd’hui, vous ne trouverez à Beijing aucune plaque commémorative de ces événements. Le gouvernement n’a jamais reconnu officiellement l’ampleur des violences. Les familles des étudiants qui ont perdu la vie attendent toujours des excuses.

Pour plus de détails sur le déroulement de la répression du 4 juin 1989, je conseille à tous ceux et celles qui peuvent lire la langue de Shakespeare cet article de Malcolm Moore sur le site du journal The Telegraph. Voici le lien vers l’article : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/china/10762871/Tiananmen-25-years-on-the-event-that-no-one-dares-remember.html .

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