Critique cinéma : Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin

L’amour vrai

Le dernier film d’Arnaud Desplechin est un magnifique objet cinématographique, maîtrisé, poli, ensorcelant. Avec Trois souvenirs de ma jeunesse, le cinéaste français propose, en trois chapitres, un superbe récit initiatique, et nous livre un portrait adolescent criant de vérité.  

Critique Film _Trois_souvenirs_de_ma_jeunesseDesplechin renoue, dans ce nouveau long-métrage, avec son éternel alter ego aux vies sans cesse recomposées, Paul Dédalus. C’est Mathieu Amalric (La Vénus à la fourrure), acteur fétiche du réalisateur, qui interprète cet ethnologue globe-trotter qui décide, après vingt ans de voyages et d’études, de rentrer en France pour de bon.

Ce retour aux sources est prétexte à une plongée dans le passé de cet homme déraciné, flou, qui se recompose sous nos yeux en trois souvenirs, trois moments fondateurs. Une enfance dure et tourmentée, d’abord, brièvement évoquée mais marquée par des scènes fortes, où l’on découvre une fratrie unie malgré la folie, puis la perte de leur mère, et la faiblesse de leur père. Desplechin pose fort habilement, dans ce très court segment, les jalons d’un formidable portrait psychologique.

Le cœur battant et fébrile du film d’Arnaud Desplechin, c’est bien le tout dernier souvenir évoqué par Dédalus, celui d’un amour éperdu, libérateur mais destructeur

Le second chapitre, presque aussi bref, emprunte avec une redoutable efficacité les codes du film à suspense. Paul Dédalus, arrêté et interrogé à son retour de France, y raconte à un agent du gouvernement (André Dussollier, dans une apparition marquante) le grand élan héroïque de sa jeunesse, qui eut pour théâtre l’URSS totalitaire. Autre moment d’une rare puissance, glaçant mais lumineux, qui contribue à ancrer la psyché du personnage.

Mais le cœur battant et fébrile du film d’Arnaud Desplechin, c’est bien le tout dernier souvenir évoqué par Dédalus, celui d’un amour éperdu, libérateur mais destructeur, entre le pauvre étudiant parisien et Esther, une lycéenne de Roubaix, rencontrée au hasard d’un week-end passé dans la maison familiale. Le jeune Paul est cultivé, vif, d’un caractère bien trempé et d’une intelligence pénétrante. Esther est vaine, volage, d’une beauté solaire et dédaigneuse, mais superbe de fragilité hautaine. Leur relation, magnifique mais écartelée, les consumera, entre les séparations douloureuses, la correspondance brûlante, magnifiquement rendue par des lectures face à la caméra, et les retrouvailles incandescentes.

Le cœur battant et fébrile du film d’Arnaud Desplechin, c’est bien le tout dernier souvenir évoqué par Dédalus, celui d’un amour éperdu, libérateur mais destructeur

Si Trois souvenirs de ma jeunesse constitue, d’abord et avant tout, le récit virtuose de cette histoire d’amour jamais oubliée, Arnaud Desplechin y saisit aussi, avec talent et sensibilité, l’essence d’un âge et d’une génération : famille, quartier, amitiés, études, tout est traversé d’une remarquable authenticité. Dans le rôle des deux jeunes amants, Quentin Dolmaire et Lou-Roy Lecollinet sont éblouissants. Quant à Mathieu Amalric, peu présent à l’écran, il déploie néanmoins à chacune de ses apparitions tout son immense talent. Certains pourront trouver le film un peu longuet et trop bavard, défauts bien propres au cinéaste ; il n’est cependant jamais vain.

4/5

En salles depuis le 16 octobre

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