Critique livre : Le petit voleur de Robert Lalonde

En route vers un rendez-vous manqué

Le petit voleur - Robert LalondeEn novembre 1898, à Mélikhovo en Russie, les destins d’Anton Tchékhov et du petit Josapht s’entrecroisent pour la première fois pour ne jamais se rejoindre.

Le premier part vers le sud afin de faire pause sur son existence qui est loin de le satisfaire et qui l’épuise. Après un long voyage en train, c’est à Nice que l’écrivain et médecin tentera d’écrire la pièce qu’il rêve d’écrire depuis si longtemps. Le deuxième part rejoindre celui qu’il idolâtre sans même le connaître, afin de lui porter secours. Arrivé à destination, devant l’absence de Tchékhov, Josapht décidera tout de même de rester. Accueilli par le frère et la sœur du dramaturge, il y passera quelques mois à construire une école, à écrire et à se découvrir.

Dès les premières pages, Robert Lalonde amène le lecteur dans son univers se situant à mi-chemin entre la réalité et la fiction, dans une tempête d’émotions contradictoires et conflictuelles. Contradictoires parce que, d’une couverture à l’autre, les envies de mort et de vie se bousculent sans que l’une ne prenne le dessus. Aussi parce que déceptions et réussites se succèdent, emportant avec elles autant de malheur que de bonheur. Il est difficile pour les deux hommes de rester optimistes dans cette vie si souvent difficile, mais il leur est tout aussi ardu de rester pessimiste dans un monde qu’ils trouvent si beau.

Conflictuelles, car autant les deux personnages évitent et craignent d’être amoureux, autant l’amour les fascine. Malgré l’aversion qu’ils lui portent, l’amour est un point central de leur histoire. Il se manifeste sous plusieurs formes : dur et triste, passionnel à l’occasion, mais surtout salvateur et jamais banal.

Chacun de leur côté, Anton et Josapht sont à la recherche de la même chose : une réalité pour remplacer celle dans laquelle ils se sentent étrangers. Tout au long du livre, les deux hommes s’entrecroisent autant dans le récit que dans la structure. Leur échange de lettres ajoute une touche épistolaire et réaliste au roman, car bien que ne se voulant pas biographique, Le petit voleur se veut un hommage au personnage bien réel qu’est Anton Tchékhov.

C’est justement dans ce réalisme que le roman trouve toute sa force. Les angoisses et les contradictions des personnages sont d’une vérité qui transcende la fiction et qui touche le lecteur. Ce réalisme est toutefois bien contrebalancé par l’immense place que l’auteur accorde à la nature. Même dans une Russie aride et froide, la nature est omniprésente et sa beauté ajoute une plaisante touche de romantisme à un univers gris à la Maupassant.

Pour lire l’entrevue avec l’auteur, c’est ici.

4,5/5

Le petit voleur

Robert Lalonde

Boréal

En librairie depuis le 8 mars

Extrait

« J’aime ma vie, mais lui manque de respect, et j’en ai honte comme d’un crime crapuleux. Je déteste tout ce qui est relatif, approximatif, équivoque, et pourtant mon travail – je ne vais quand même pas dire mon œuvre! – s’en nourrit comme l’aigle de la charogne. Je me délecte des détails et vomit les généralisations. Je chéris la révolte – oh, le petit, il me faut lui faire ma lettre tout à l’heure! – mais exècre l’idée même de la révolution : elle s’achève toujours en boucherie! J’aime ma solitude et en même temps la méprise – il serait fastidieux et peut-être dangereux de m’étendre plus longuement, ici, sur ce sujet. »

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