Photo : Courtoisie, Robin Pineda Gould

Démanteler les manifestations de la douleur

Présentée les 14, 15 et 16 mars derniers, À la douleur que j’ai, dernière création de la chorégraphe québécoise Virginie Brunelle, a précipité l’auditoire de la Salle Multi dans l’étalage de performances lyriques brossant les diverses formes de la souffrance issus des bouleversements vécus dans les relations interpersonnelles.

La souffrance déconstruite

L’émergence sous une douce lumière dorée de l’ensemble des interprètes brillant tendrement par la douceur des couleurs pastel qu’ils habillent dépeint une image à couper le souffle. Celle-ci puise sa force de la pose adoptée par les danseurs proposée par la chorégraphe montréalaise au début du spectacle : un portrait de famille jaillissant de l’obscurité sur lequel ses participants retiennent des airs de dignité trépassés. S’en suit une décomposition progressive de cette image familière de bonheur simulé. Les personnages perdent graduellement leur capacité à retenir leur souffle et la position droite de leurs corps. Après plusieurs essais pour revenir à la pose initiale, les interprètes s’éjectent du halo de lumière au centre de la scène, ne laissant qu’un vague souvenir de l’image moribonde du portrait familial.

Virginie Brunelle va décomposer ainsi d’autres images liées à l’expression des relations personnelles et sentimentales en explorant la souffrance vécue par des couples, identifiés rapidement par la formation de duos depuis le début de la pièce. La souffrance est donc personnifiée dans des univers vécus à deux personnes, puis en mettant en relations plusieurs, lorsque les interventions de différents individus saccagent violemment la solidité des liens affectifs et mettent en évidence la dépendance néfaste de certaines personnes envers leurs êtres aimés. Au long de la pièce se dessinent et s’épuisent les efforts pour faire survivre ces liens amoureux en usant d’une gestuelle agressive pour signifier des manifestations de la douleur.

Du lyrisme pour un message universel 

Pour réussir dans la figuration d’une gestuelle évoquant la souffrance, le jeu des interprètes a frôlé l’interprétation théâtrale. Un travail remarquable de complicité parmi la diversité des corps des interprètes éveille l’identification de notre capacité à aimer une pluralité d’individus, tous différents.  

Néanmoins, le message reste conservateur dans la mesure où l’amour demeure ancré à priori des à priori de genre qui auraient pu s’exprimer de façon neutre, en ne relevant le couple homme-femme au cœur de la réflexion pour donner un caractère absolu et d’actualité. Une remarque à se faire lorsqu’on constate que tous les autres éléments de la création font sentir l’intention de rendre la performance accessible à un large public à travers un langage universel, en usant d’une gestuelle simple et poétique, et de la musique populaires pour réveiller les lieux communs dans la mémoire collective du public.  

Un spectacle décalé tranchant avec le contemporain habituel 

Par son lyrisme et sa théâtralité, À la douleur que j’ai s’éloigne du contemporain souvent présent sur la scène québécoise au langage plutôt escarpé, bien que très original et d’une grande beauté. La musique choisie peut répartir l’auditoire étant donné sa disparité : en sautant du romantisme au baroque, ou encore au minimalisme contemporain. Le choix est délibéré : chaque tableau est présenté sur une composition classique connue capable de replacer l’auditeur dans des souvenirs liés au cinéma ou à la télévision. Un choix moins perçu aujourd’hui dans un milieu qui cherche l’expérimentation performative sur toutes ses formes, avec de la musique inédite et expérimentale, ainsi que plus de complexité dans les expressions symboliques réalisées à travers une exigence accrue des capacités du corps.  

*critique rédigée en collaboration avec Salomé Janan, étudiante de l’École de danse de Québec. 

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