La poésie comme retraite méditative

Paru aux éditions de Ta Mère en novembre dernier, Carnet de parc est un recueil de poésie écrit par Véronique Grenier dans un langage plutôt familier. Rédigé dans un mélange de formes comme le journal intime, la prose et les vers, il met en scène un parc et des gens qui sont venus s’y retirer. La voix narrative   ̶  parce que de la narration, il y en a indéniablement   ̶ est observatrice, sans être passive. Elle prend part à ce qui s’y passe, interagit avec le lieu et avec les gens qui s’y trouvent.

Analyse de Jessica Dufour, collaboratrice aux arts et à la culture

Véronique Grenier confie au Journal de Montréal vouloir que ce « parc » soit un lieu qui « existe pour vrai et qu’on puisse tranquillement aller [y] vivre nos crises à l’extérieur du monde et s’éprouver […] comme un camp de vacances pour la crise existentielle », thème qui est effectivement plutôt présent dans ses textes. Le parc représente donc une espèce de retraite méditative. La répétition de « c’est un lieu rond » évoque le ressassement. On nous présente toujours le même lieu qui évolue un peu à chaque fois, avec des ajouts ou des phrases en moins. Il pourrait s’agir d’un rappel au présent, d’une invitation à s’ancrer dans un paysage imaginaire propice à la détente, au laisser-aller, comme le ferait un guide dans une séance de méditation.

Même dans cet univers idéalisé, on sent que des pressions externes sont subies par la narratrice. Le « on » en italique, indéfini, impersonnel, la prend en charge dès son arrivée dans le « parc ». Il vient parfois briser des moments de contemplation où l’on sentait qu’une certaine paix voulait s’installer. Elle se trouve souvent bousculée, projetée hors de sa zone de confort, mais tente l’expérience par désir de guérir. C’est un processus ardu que de déconstruire ses mécanismes de défense, ses idées préconçues et surtout ses angoisses qui empêchent de bien vivre.

Il ne faut pas avoir peur du blanc et de la répétition lorsqu’on lit ce recueil, qui en comporte beaucoup. Ajoutés aux quelques pages de journal intime, c’est ce qui compose la moitié des 96 pages. La qualité du recueil, qui se veut justement hybride, ne devrait pas s’évaluer qu’à partir de la quantité de mots. Certains films d’auteurs sont composés de silence, qui ajoute à leur profondeur. Par contre, en cinéma, d’autres éléments comme la musique et l’image aident à la construction du sens. Dans un livre, c’est l’écrit qui compte et s’il n’y en a pas beaucoup, ça crée un vide. C’est un peu le cas pour celui-ci.

Le livre attire d’abord l’œil, en librairie, grâce à son petit format commode et à sa couverture graphique, colorée. Comme l’émission Plus on est de fous, plus on lit (Radio-Canada) en proposait une lecture, je me suis laissée tenter, mais il ne m’a particulièrement touchée, bien que la thématique de la crise existentielle soit au cœur de ma propre démarche artistique. La narration très présente agit parfois à titre d’explication, alors que les poèmes devraient parler d’eux-mêmes. Je préfère qu’on me montre au lieu de me dire. Un univers, où se mélangent action et réflexion, est bel et bien créé, mais il demeure un potentiel non exploité. Je me suis surprise à sauter des passages parce qu’ils ne m’interpelaient pas ou parce que la répétition m’agaçait. Je ne suis pas non plus certaine que la mise en italique du « on » soit nécessaire.

Voici cependant quelques passages que j’ai aimés pour leur imagerie forte et intéressante.

« Voici le musée de mes désagréments » (p. 14)

« Je souffre jouis toujours trop fort
pour l’occasion
baiser à coeur ouvert près des balançoires » (p. 34)

« Coule avec le sourire de celui qui a les moyens de sa gestion de crise. » (p. 37)

« […] c’est le temps du ménage
celui de passer la balayeuse
sur les mirages qu’on se gosse » (p. 50)

Enseignante en philosophie au Cégep, l’auteure a maintenant trois livres à son actif dont un récit intitulé Hiroshimoi. Carnet de parc est son deuxième recueil de poésie après Chenous.

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