Jolicoeur: plus qu’une autre histoire d’amour

« Au décès de son mari, Marcelle Lemay s’avoue qu’elle n’a pas choisi l’existence qu’elle mène. Jolicoeur, son nom de jeune fille, doit triompher. Un besoin de liberté s’impose. Fuyant les funérailles, délaissant sa fille, Marcelle Jolicoeur s’envole pour le Japon. Là-bas, elle cherche Kiyoko, son premier et seul amour.

Depuis sa première apparition entre deux pavillons de l’Expo 67, cette femme est partout. Une fleur, un feu de joie, un fantôme. Au fil des déambulations, les fragments de beauté convoquent des souvenirs lumineux, d’autres tragiques, et Marcelle découvre l’héritage culturel de celle qui demeure le grand mystère de sa vie. Elle s’adresse enfin aux esprits de la forêt pour trouver le chemin vers son amante. »

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), journaliste multimédia

 

Beaucoup d’éléments ont positivement attiré mon attention à la lecture de ce premier roman de Joëlle Péloquin, publié aux éditions Tête Première. Sur le plan peut-être plus formel, l’expérience de l’autrice dans le domaine du théâtre, la scénographie, de la cinématographie se fait particulièrement sentir dans la façon dont le récit est construit. Il y a ces constants allers-retours entre le passé et le présent, à la manière de flashbacks, engendrant des changements relativement habiles au niveau du fil narratif. À quelques moments, cesdits changements pouvaient se faire un peu trop fluidement, dans la mesure où la ligne aurait pu être plus claire. Mais dans l’ensemble, le tissage était presque parfait, et il donnait l’impression au lecteur et à la lectrice d’assister aux scènes au cinéma. D’ailleurs, ces retours dans le temps et ces moments de réminiscence avaient un excellent timing narratif, ne semblaient pas placés là au hasard, et témoignaient d’un entrelacement du récit et de la puissance de la mémoire qui se souvient, parfois même sporadiquement. Péloquin, et par extension Marcelle ne parlent pas pour rien dire. Sa prose, particulièrement poétique, alternait elle aussi dans la longueur des phrases, des explications, des actions et des séquences descriptives. Ainsi, ces éléments de l’écriture confèrent à l’œuvre un rythme satisfaisant et intéressant, le récit ne stagnant pas malgré les nombreuses descriptions colorées et imagées.

Plus qu’une simple histoire d’amour, donc. Effectivement, Péloquin soulève des enjeux bien plus forts que la romance et qui, sans se proclamer explicitement féministes, le sont intrinsèquement et intimement. À travers le personnage qu’est celui de Marcelle Jolicoeur ‒ personnage principal multidimensionnel, d’ailleurs ‒ on ressent un poids existentiel criant. Le poids d’être femme et de le devenir, le poids de cette obligation, confinée dans une définition et construction sociale qu’est celle de la féminité. Le poids du corps qui vieillit, du deuil, de la maternité, de l’engagement. Péloquin a bien su construire Marcelle, qui se permet l’affranchissement et la prise de pouvoir agentif, et surtout une ouverture sur le désir au féminin, sur des émotions interdites au monde des femmes, et ce, sans tomber dans le stéréotype, ni sans trop rester en surface dans l’exploitation de ces thématiques sérieuses, graves et actuelles, pertinentes surtout. Ce dialogue incessant entre le présent, le passé et ce qui aurait pu être révèle un travail narratif profond, juste et complexe et qui en relève beaucoup sur le personnage, sans que tout ne soit toujours explicitement nommé. L’histoire d’amour entre Marcelle et jadis son amante n’est qu’au second plan, sans pourtant être effacée ou inutile, servant plutôt de prétexte et ouvrant la porte à une émancipation touchante et à des questionnements qui traversent universellement et collectivement les femmes, à savoir ce que signifie être mère, être amante, être femme, être libre, et à quels coûts. Un excellent départ pour l’autrice. Je ne vous en dis pas plus, et vous laisse le plaisir de découvrir l’écriture de Péloquin.

Me convaincre que de la vie sous mes pieds surgira ce même frémissement de bonheur que j’ai éprouvé avec toi. Sur l’île Jean-Drapeau, quand tu retirais tes chaussures. Faisais glisser tes bas de nylon. Tournais sur toi-même. Qu’entre les pissenlits, tes talons devenaient jaunes. Qu’étourdie par nos danses, je me laissais tomber. Mais tu n’es plus à mes côtés.

Source: PÉLOQUIN, Joëlle. Jolicoeur, Québec, Éditions Tête Première, 2021, 192 p.

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