Photo: Julie-Anne Perreault

Le travail gratuit au service des dollars

La campagne pour la rémunération de tous les stages qui se déroule actuellement au Québec devra se solder par un gain pour la population étudiante. Il s’agit d’une question d’équité entre les générations, mais aussi de partage de la richesse. Une société qui s’appuie sur du travail gratuit, c’est une société qui érige en système l’exploitation d’une part des membres de la collectivité.

D’abord, il est vrai que le ministre Jean-François Roberge devra baliser ce qu’on reconnait comme un stage. Il y a d’un côté des stages dits « d’observation », où un(e) étudiant(e) apprend en côtoyant des professionnel(le)s de son milieu. De l’autre, il y a des stages « offrant » une expérience de travail très proche de la réalité en terme de responsabilités et de tâches à accomplir (mais très loin en terme de salaire).

Il y a aussi une panoplie de situations non-définies où l’on se retrouve à faire un peu d’observation et un peu de travail gratuit. On y est officiellement pour de l’observation et on se retrouve avec des tâches connexes; on y est officiellement pour travailler et on se retrouve à porter les bouteilles d’eau.

Dans toutes les situations décrites, il est inacceptable, au nom d’un quelconque principe, que des étudiant(e)s ne puissent pas subvenir à leurs besoins de base en raison d’une activité académique obligatoire (aussi formatrice sera-t-elle). Il est inacceptable de devoir retarder ou abandonner ses études en raison de sa situation financière précaire.

Les stagiaires dégagent de la valeur

Inacceptable, qui plus est, dans la mesure où le travail des stagiaires créé de la valeur sans que les entreprises ou organismes qui les emploient aient à en rémunérer la force qui la produit. On pourrait même extrapoler et affirmer que des étudiant(e)s ayant réalisé un stage dans le cours de leur formation seront des employé(e)s mieux formé(e)s une fois sur le marché du travail, ce qui résulte en une baisse des couts de production pour les entreprises.

Depuis la mise en place d’un état-providence au milieu du siècle dernier, on incombe une partie des couts liés à la formation de la main d’œuvre aux entreprises. Le principe derrière ce partage des responsabilités est fort simple : comme ce sont les entreprises qui bénéficient le plus largement d’une main d’œuvre qualifiée et qui la réclament, la collectivité n’a pas à assumer l’entièreté de la facture… et encore moins chaque individu.

Par un habile retournement, on se retrouve à penser le travail gratuit comme un passage obligé vers le marché du travail, le premier tremplin vers sa propre carrière. La valeur dégagée par ce travail invisible se concentre toutefois entre les mains des employeurs, qui ont pourtant la responsabilité de réinvestir une part de leur profit dans la mise à niveau de leurs ressources matérielles et humaines.

À chaque moment, c’est par ailleurs la société toute entière qui bénéficie de cette forme d’exploitation et qui gagnera à être globalement mieux éduquée et adaptée aux réalités professionnelles. Voilà pourquoi le gouvernement doit intervenir.

Une question d’équité entre les programmes d’étude

Le combat pour la rémunération des stages en est un pour l’équité entre les genres, mais aussi entre les différents secteurs d’études. Ces enjeux sont bien souvent croisés. On retrouve une majorité de femmes dans des programmes liés au domaine du « care » ou dans des secteurs « non-rentables », bien qu’essentiels pour la société. De l’autre côté, une panoplie de secteurs très rentables mais beaucoup moins essentiels offrent des stages rémunérés. Ces secteurs sont souvent à très forte concentration masculine.

Cette inégalité se reproduira et s’exacerbera aussi une fois les études terminées. Les salaires dans les domaines « rentables » et masculins seront plus gros, ce qui résulte en une meilleure capacité à rembourser une dette d’étude, à accumuler du capital pour éventuellement avoir des actifs, à obtenir du crédit auprès d’une banque, etc…

Si on ne peut pas renverser le marché qui dicte ce qui méritera un bon ou un mauvais salaire, le gouvernement – et surtout les entreprises privées – doivent reconnaitre le travail des étudiant(e)s stagiaires en le rémunérant à juste titre.

Pendant ce temps, le projet de réingénierie sociale porté par le néolibéralisme depuis les années 70 poursuit tranquillement son œuvre. On ne peut prétendre à une égalité des chances lorsque certains chemins sont très clairement balisés de façon à réussir, alors que d’autres mènent tout droit vers des embuches systémiques.

 

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