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« Épidémie de putschs » ou juntes décoloniales : un regard sur les récentes tensions en Afrique de l’Ouest

Avec deux coups d’État en l’espace d’un été et l’essor de plusieurs nouveaux régimes anti-français, l’Afrique de l’Ouest semble éprise d’un vent de changement depuis les dernières années. Impact propose un état de la situation en date de septembre 2023. 

Antoine Morin-Racine, chef de pupitre aux actualités

Coup d’État au Niger

Le 26 juillet dernier, les troupes du général Abdourrahamane Tiani de la garde présidentielle nigérienne délogeaient du pouvoir le président Mohamed Bazoum pour mettre fin à « la dégradation continue de la situation sécuritaire [et] la mauvaise gouvernance économique et sociale » du pays.

À voir les slogans d’une partie considérable de la société civile qui affiche leur support au coup dans la rue, il semble que le coup d’État soit le résultat d’un sentiment anti-français qui gagne les pays du Sahel depuis les dernières années. Une situation qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité à qualifier « [d’] épidémie de putschs ».

Ayant initialement menacé l’intervention militaire, les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO), une alliance de pays alliés aux intérêts occidentaux, en sont maintenant à négocier avec le nouveau régime. Malgré une attitude plus belliqueuse initialement, la France a également commencé à négocier le retrait des 1500 troupes françaises qui étaient sur le continent pour aider à pallier le problème jihadiste dans la région. Troupes qui avaient d’ailleurs déjà été expulsées une première fois du Mali par un coup d’État en 2021.

Abdourahamane Tiani (gauche) et Mohamed Bazoum (droite) Crédit Photo : RFI

Un coup d’État « anti-français » parmi d’autres

Autres que les atrocités coloniales historiques que nous pouvons tristement supposées à l’histoire du pays, les régimes néocoloniaux et l’ingérence de l’époque des décolonisations puis la condescendance métropolitaine qui continue à bien des égards jusqu’à aujourd’hui, ce groupe de nouvelles juntes sahéliennes dont le Niger fait maintenant partie, avec le Mali, la Guinée et le Burkina Faso, ont vraisemblablement plusieurs raisons de vouloir voir la France partir. Raisons qui vont au-delà des connivences prorusses qu’ils affichent et qui inquiètent plusieurs commentateurs occidentaux.

De plus en plus de gens considèrent que l’armée française a fait son temps dans la région et qu’elle ne viendra pas à boutdu terrorisme islamique.

Il aussi faut savoir que la présence militaire française est aussi la projection d’un pouvoir assez spécifique. Depuis la décolonisation de la région, la France est probablement la plus active des anciennes métropoles européennes sur le continent. Plusieurs de ses entreprises les plus lucratives et même l’entièreté de son réseau électrique dépendent de ressources africaines comme l’uranium nigérien, par exemple.

Ainsi, la leçon semble être qu’il n’y ait pas qu’un facteur décisif à ces coups d’État, mais qu’ils soient le résultat d’une accumulation de frustrations de longue date, contre ce qu’ils considèrent être une néo-métropole particulièrement farouche et explicite, qu’un contexte de crise (sanitaire, sécuritaire et/ou économique) aide à solutionner.

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Coup d’État au Gabon

Un peu plus d’un mois plus tard, à Libreville au Gabon, le général Brice Oligui Ngema paradait sur les épaules de ses hommes de la garde républicaine après avoir mis fin au règne de la famille Bongo Ondimba, en déposant le président nouvellement réélu Ali Bongo, fils d’Omar Bongo qui avait été mis au pouvoir au temps de la France-Afrique gaulliste en 1967.

Un coup plus dur à contester pour la diplomatie française, de plus qu’Ali Bongo et le régime dont il a hérité est loin d’être étranger à la fraude électorale, allant même jusqu’à faire attaquer le quartier général de son opposant aux élections par la garde républicaine en 2016. Comme l’a déjà dit son père : « On n’organise pas des élections pour les perdre ! ».

Tout en restant un allié stratégique, il est dit que le fils s’était tout de même distancié de la France de manière plus évidente que le régime de son père, le coup ne semble donc pas avoir les mêmes ambitions décoloniales et les mêmes sentiments anti-français que ceux plus au nord.

Il n’est pas difficile, par contre, de voir comment la diplomatie française peut sonner fausse même à des oreilles gabonaises quand elle admoneste les putschistes au Niger, mais condamne aussi, quoique juste un peu plus subtilement, le renversement d’un régime familial vieux de cinq décennies au Gabon, la semaine suivante.

Des changements à venir dans la région ?

Malgré l’opposition occidentale, les deux coups semblent avoir été somme toute bien accueillis par les sociétés civiles des deux pays qui, comme à d’autres endroits dans la région, sont dynamisés par la participation politique de plus en plus accrue de leur jeunesse souvent sans emplois et qui ne craignent pas les pouvoirs en place.

Même si une opération armée a été évitée de peu au Niger, reste à voir si cette jeunesse sera le catalyseur à d’autres changements de régime dans la région.

Ali Bongo (gauche) et Brice Oligui Nguema (droite), son chef de la garde républicain et l’homme qui le déposera. Crédit photo : Jeune Afrique
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