Le Festival de théâtre de l’Université Laval : une vitrine rafraîchissante sur des productions émergentes

Du 19 au 24 mars derniers se déroulait, dans le cadre de la Semaine de la Francophonie 2024,  la 10e édition du Festival de Théâtre de l’Université Laval. Cette année, il avait pour thématique « Au rythme de nous », mettant ainsi de l’avant « une programmation qui rend hommage à la collectivité et à son mouvement perpétuel. » Cette semaine se voulait, comme à l’habitude, une occasion de découvrir des propositions insolites portées par une passion commune pour les arts multidisciplinaires, qu’elles soient achevées ou en construction, à la manière du work in progress, et qu’il s’agisse de mises en lecture, de sorties de laboratoire, de performances ou de spectacles. Le festival permettait également à celleux qui le désiraient d’assister à des ateliers de création littéraire, à des classes d’improvisation par le mouvement, notamment, ainsi qu’à des conférences, le tout à des prix somme toute abordables, particulièrement pour la communauté étudiante qui compose autant le festival qu’elle constitue son public. 

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts, et Julianne Campeau, journaliste collaboratrice 

Jeudi 21 mars – Julianne

Le voile expliqué à ma mère – Par Hajar El Moqaddem – Mise en lecture – La Charpente des fauves

Crédit photo Margaux Boissinot

Résumé : Le voile expliqué à ma mère est un débat entre une mère et sa fille sur la question du voile. Deux avis très différents s’entrechoquent lors d’une conversation téléphonique. Le passé douloureux ressurgit et laisse place à des révélations à travers des arguments pour prouver, convaincre et persuader.

Avis : Arrive-t-il qu’une femme choisisse, de son plein gré, de porter le voile? Voilà un débat qui divise encore aujourd’hui, et qui alimente cette discussion de 20 minutes entre une étudiante d’origine marocaine et sa mère, furieuse d’apprendre que sa fille a décidé de se voiler. S’en suit un long débat téléphonique, durant lequel les deux femmes débattent de la question, s’appuyant sur leurs expériences personnelles, mais aussi sur certains faits historiques particulièrement intéressants concernant le port du voile. Cette mise en lecture m’a fait réfléchir tout en me faisant rire à l’occasion. Elle a l’avantage de présenter au public les arguments des deux partis, sans pour autant trancher le débat, laissant aux spectateur.ices la liberté de se forger leur propre opinion sur le sujet.

 

J’ai perdu ma lune – Par Tête de l’art – Mise en lecture – La Charpente des fauves

Crédit photo Margaux Boissinot

Résumé : Mathieu et Charlotte sont sur une lune très loin, blotti.e.s l’un.e contre l’autre dans un cratère et observent la terre. Iels y voient une femme qui pleure. Une femme qui s’appelle Maman. Maman ne pleure pas avec les yeux, mais elle pleure quand même. Même quand elle sourit, elle pleure.

Charlotte et Mathieu attendent depuis plusieurs éternités que Maman mette un pansement sur son passé pour pouvoir enfin s’endormir ou visiter d’autres lunes. N’y tenant plus, iels décident d’aller la rejoindre sur Terre pour l’aider. Après avoir pris des décisions radicales comme lancer leur ami.e Sacha par-dessus bord pour vérifier si on ne s’écrasait pas en quittant la lune, iels se construisent un radeau et rament jusqu’à la terre.

De son côté, Maman se pose des questions, beaucoup de questions. Et personne n’y répond.

Avis : Sur Terre, une femme fait le deuil des trois enfants dont elle a avorté. Pendant ce temps, sur la Lune, ces dernier.ères attendent que leur mère arrête de les pleurer, afin qu’iels puissent finalement s’endormir en paix. Initialement destinée à un jeune public, cette pièce de théâtre en cours de développement pourrait, selon moi, plaire à un auditoire de tous les âges. L’usage d’éléments de l’ordre du merveilleux (ex. : les lucioles sur la Lune) rend les sujets lourds plus faciles à digérer pour un public jeunesse. D’un autre côté, la relation conflictuelle de la femme d’aujourd’hui avec la maternité, incarnée par le personnage de la mère, soulève des questions pertinentes pour un auditoire adulte (ainsi que pour un public adolescent). En effet, comme elle, beaucoup de femmes (et de femmes en devenir), se posent ou se sont déjà posé la question : est-ce que je veux être mère pour les bonnes raisons? Faire des enfants est-il un devoir que nous portons toutes?

 

Onion Man – Par Victoria « Vee » Côté-Péléja – Performance – La Charpente des fauves

Crédit photo Margaux Boissinot

Résumé : ONION MAN est un projet mélangeant le street dance et la mode conceptuelle. C’est au travers du mouvement, de la musique, de la parole et de la transformation vestimentaire que cet alter ego prend vie. Ses “pelures” vestimentaires créent son identité complexe et influencent sa façon de se mobiliser. Les multiples couches peuvent être à la fois et simultanément faire objet de transition, de mutation, de protection, de transparence ainsi que de camouflage. Elles représentent l’accumulation d’expériences vécues, d’influences sociales ainsi que l’impact physique que ces traces énergétiques laissent sur son corps.

Avis : En revenant dans la salle, après l’entracte, les spectateur.ices ont été accueilli.es par Victoria Côté-Péléja, en train de danser avant même que sa prestation commence, disons, officiellement. Lors de la discussion en fin de soirée, un des spectateurs a confié avoir trouvé cet accueil chaleureux, comme si la danseuse nous invitait dans son univers. Au début de la performance, plusieurs objets, surtout des vêtements, sont éparpillés un peu partout sur le sol, dans un joyeux chaos. Telle une enfant, Côté-Péléja manipule ces vêtements comme si elle les découvrait pour la première fois, se les appropriant à sa manière. Puis, la musique change, l’ambiance devient plus lourde, et la danseuse se cache sous des couches de vêtements, qui lui donnent des airs d’entité menaçante. Puis, à la fin du spectacle, elle semble lutter pour se débarrasser de ces couches de tissu. Et l’atmosphère s’allège un peu.

 

Vendredi 22 mars – Frédérik

Mémoire de lune – Par le collectif plurielleS – Spectacle – LANTISS

Crédit photo Margaux Boissinot

Résumé : Mémoire de Lune est un collage des pièces La jeune fille et la Lune et Au cœur des quenouilles, de Claude Gauvreau. Sous la direction de Robert Faguy, le projet est une étude sur l’interaction de différentes techniques et médias afin d’obtenir des dramaturgies plurielles. L’œuvre traite du passage vers la mort, du retour du corps à la nature et de la mémoire. Cette adaptation libre des œuvres de Gauvreau reprend les figures emblématiques des deux textes afin de les entremêler pour raconter la quête d’un criminel et de sa victime.

Cette création fait suite au cours de mise en scène II : mise en espace donné par Robert Faguy à l’automne 2023 et suivi par Hajar El Moqaddem, Anne-Sophie Henry, Valentine Samson, Arantzazu Silva et Alizée Théot.

Autre collaborateur.rices : Xavier Brisson, Philippe Savard et David Bellavance Ricard

Avis : Si le spectacle m’a un peu prise par surprise par sa brièveté, avec une fin qui, je dois l’admettre, m’a fait remettre en question quel était le bon moment pour prodiguer de nos applaudissements – ça y est ? on s’y met ? – il n’est pas question ici d’un reproche, oh non. C’était un peu abrupt, peut-être, mais il faut dire que Mémoire de Lune ne ressemble en rien aux pièces de théâtre traditionnelles auxquelles nous sommes maintenant bien habituées, amateur.rices ou fan fini.es (on connaît la chanson : personnages-temps-lieux, début-milieu-fin, problème-épiphanie-résolution). Comme il s’agit d’une proposition de nature très poétique, tant dans sa mise en scène, qui scindait par ailleurs la salle en deux, de sorte à disposer des spectateur.rices sur les deux rives de sa rivière, nous y en rapprochant, et dont le son des vagues nous auront berçé.es du début à la fin, que par son texte, quelque chose de plus long aurait justement probablement été…trop long. C’est un choix judicieux qui, en plus d’être rafraichissant, permettait aux oreilles attentives de ne pas s’y perdre et de rester captivées, intéressées. C’était beau, brutal et doux à la fois, me rappelant, d’un même coup, le sort tragique et salin des cousines Nora et Olivia dans Les fous de Bassan, figures que l’écriture d’Anne Hébert aura su rendre à la littérature québécoise dans toute leur puissance et leur fragilité. À bien y repenser, une seconde écoute m’aurait bien plu, question de me poser, encore plus, entre les mots et les souffles, les interstices et les ressacs, les reflets de lune.

Samedi 23 mars – Julianne

Crédit photo Margaux Boissinot

Elles se quittent à la fin – Par Le Théâtre des Malcommodes – Mise en lecture – LANTISS

Résumé : Flore et Sybille se connaissent sans se connaître, s’aiment sans s’aimer, se touchent pour s’éloigner.  C’est dans le murmure du froissement de leurs vêtements qu’on entend la complexité qu’il y a dans la voix d’une femme qui dit je t’aime à une autre. Bien qu’elles se quittent à la fin, elles ont des choses à se dire avant de le faire. Ensemble dans leur solitude, elles témoignent du monde qui leur fait si peur, de leur amour et de leurs désirs. Elles se quittent à la fin explore l’identité queer, l’enfance et la nécessité d’exister librement. Entre poésie et théâtre, cette lecture publique en toute simplicité est une première courte création du Théâtre des Malcommodes fondé par Maïté Beausoleil et Liza Laroche.

Avis : Souci de transparence oblige : je n’ai pas compris exactement de quoi la pièce parlait. Certes, il y avait l’histoire d’amour passionnée, mais compliquée entre les deux protagonistes, Flore et Sybille et la découverte par cette dernière de son homosexualité. En revanche, je crois que la pièce cherchait à me dire beaucoup plus. Les deux jeunes femmes semblent envahies par un trouble dont je n’ai pas vraiment saisi la nature. Sybille cherche de la chaleur dans le regard des gens, quête que Flore désapprouve, même si c’est elle qui lui en a donné l’idée. J’ai l’impression que cette pièce aurait dû être plus longue : elle se termine alors qu’elle vient à peine de commencer. Le texte, d’une grande beauté, a beaucoup de potentiel. Le problème, c’est qu’elle ne laisse pas au/à la spectateur.rice le temps de bien l’absorber.

 

Camille Claudel, Statuaire – Par Pas vu pas pris – Spectacle – LANTISS

Crédit photo Margaux Boissinot

Résumé : Camille Claudel, statuaire, est un spectacle mêlant marionnettes et théâtre corporel, créé à partir des sculptures de Camille Claudel. Camille Claudel s’est fait interner de force, à l’âge de 49 ans, et est morte à l’asile, abandonnée de tous. Dans cette performance, nous explorons le rapport à l’art et à ses propres créations, avec un rapport très sensible à la matière.

Collaborateur.rices : Hélène Houdart (idéatrice, direction artistique, marionnettiste), Gabriel Beauchesne (co – mise en scène), Charlotte Perron (conceptrice corporelle), Célia Gilbert (conception d’éclairage), Alexandre Alary (conception costume), Rose Charette (conception sonore et interprète), Clara Barbieux (interprète), Jeanne Théberge (interprète), Mathieu Vaillancourt (interprète), Xavier Ouimet (interprète)

Avis : Hommage à Camille Claudel (1864-1943), sculptrice au grand talent morte enfermée et abandonnée par ses proches. Ce spectacle émouvant combine danse, musique et lecture de lettres écrites par l’artiste, rendant hommage à son œuvre et se révoltant contre son triste sort. Sur scène, des figures couvertes de drap se révèlent progressivement, modelées en partie par la mélodie du violon, mais aussi l’une par l’autre. Au bout d’un moment, le travail prend fin, puis les danseurs, interprètes des sculptures, se figent. En faisant des recherches sur l’œuvre de Claudel, je crois avoir reconnu certaines poses des danseurs dans ses sculptures. Cette émouvante chorégraphie met en valeur la poétique qui se cache derrière le travail de la matière, travail qui demeure largement invisible à la personne contemplant le résultat final.

 

À Delphes – Par Théâtre Grain & Beauté – Lecture/Performance – LANTISS

Crédit photo Margaux Boissinot

Résumé : Être porteur du syndrome du sauveur, c’est une chose. Être impuissant devant une situation, pris au dépourvu par la maladresse de vouloir bien faire, c’en est une autre. Dans cette autofiction, l’auteur se pose la question suivante: comment épauler un.e jeune qui vit une dysphorie de genre et/ou qui nomme le désir d’entamer une transition? Y répondre, c’est devoir passer par les maux en les dansant. C’est aussi une célébration d’être soi-même, d’aimer découvrir l’autre et d’apprendre à se connaître. Un grand voyage entre la solitude et le vivre-ensemble, dans lequel le silence est un bruit qui résonnera à travers les saisons. 

À Delphes est le tout premier texte théâtral de Luka Provost. Il s’entoure d’une distribution complètement issue de la communauté LGBTQIA2S+ qui s’inscrit dans la prometteuse relève théâtrale de Québec.

Collaborateur.rices : Texte et mise en lecture: Luka Provost | Interprétation: Luka Provost, Gabriel Sénéchal, Mirka Pouliot, Margaux Auclair et Laurent Marion (distribution de comédien.ne.s) + Lila Dubois Pagesse, Léa Bernier, Frédérique Delisle et Emmy Galarneau (interprètes en danse) | Conception sonore: Kevin Olsen et Margo Ganassa | Direction du mouvement: Luka Provost | Scénographie: Charlotte Poirier | Photo affiche: Charlotte Poirier

Avis : Présenté comme une ébauche de théâtre documentaire, À Delphes raconte, dans un spectacle mélangeant danse et théâtre, le voyage d’Ellie, l’adelphe (terme non genré utilisé pour désigner un enfant né de même parent) de l’auteur, Luka Provost, dans sa transition de garçon à fille. Il montre aussi les actions, bien intentionnées, quoique parfois un peu maladroites, de l’entourage d’Ellie, qui essaie, tant bien que mal, de l’appuyer dans ce processus. L’auteur tente également de démentir plusieurs mythes liés aux personnes transgenres et de rappeler que, si le monde est plus ouvert qu’avant en ce qui concerne les diversités de genre, il y a encore du chemin à faire. De poignantes chorégraphies effectuent les transitions entre les scènes et assurent l’engagement émotionnel du/de la spectateur.rice.

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