Photo par Alice Beaubien

Lettre ouverte au RENADUL

Je m’appelle Nora Legrand et j’ai rédigé une critique sur le documentaire Ouvrir la Voixréalisé par Amandine Gay, et projeté au cinéma le Clap ce vendredi 2 février dernier. Ma critique a été publiée hier (le mardi 6 février), suite à quoi le RENADUL a rédigé une lettre adressée à l’ensemble de la communauté de l’Université Laval, mais aussi au journal des étudiants de l’Université dans lequel mon article a paru, Impact Campus. Je rédige cette lettre en réaction à la première partie de la lettre dans laquelle je – en tant que journaliste bénévole à Impact Campus et responsable de mes mots- suis citée anonymement.

Je réagis premièrement à la façon dont je suis décrite dans cet article. Cela est important, car les accusations dirigées vers Impact Campus reposent en grande partie sur l’argument suivant : je suis décrite comme une femme blanche française qui a rédigé une critique sur un documentaire fait par et pour des femmes noires afro-descendantes. De ce fait, mon jugement, mes sentiments et mon opinion ne sont pas valides sur la cause. Soit. Cependant, je souhaite rectifier la présomption du RENADUL : Certes je suis une femme, je suis de nationalité française, mais je ne suis pas « blanche ». Je suis en réalité métisse, puisque mon père est normand et ma mère est une immigrée marocaine. Je fais donc partie de deux minorités : la minorité arabe maghrébine, et la minorité musulmane. Je suis peut-être née et j’ai peut-être grandit en France, je n’ai peut-être pas d’accent ni de traits qui trahissent mes origines, mais j’ai bel et bien été élevée non seulement dans une culture mixte, mais en plus, avec les traditions musulmanes. Ainsi, j’ai aussi subi les clichés et les stéréotypes associés aux Arabes, aux Marocain.e.s et aux musulman.e.s., entre autres celui de la « beurette » qui est peut être l’équivalent arabe post-colonialiste de la « niafou ».

J’ai aussi été victime de discrimination et de harcèlement moral. Certes je ne porte pas le voile et mon nom est outrageusement français, mais je pense encore avoir le droit de me considérer comme une femme métisse et musulmane qui fait son propre parcours. En ce sens, le RENADUL n’a nullement le droit d’assumer mes origines en me définissant comme une « femme blanche française » sans même avoir pris la peine de se renseigner sur qui je suis. Je peux donc dire sans scrupule que j’ai ressenti profondément les témoignages de ces femmes dans le documentaire Ouvrir la Voix, pour en avoir moi-même été victime pour au moins la moitié des anecdotes citées. À mon échelle certes, mais je ne suis pas moins légitime qu’une autre en ce qui concerne la rédaction de cette critique.

Aujourd’hui, cela fait un an et demi que j’ai quitté la France pour le Québec. Je n’ai été victime d’aucun racisme, aucune discrimination, aucun regard en biais. C’est simplement parce que je ne porte pas mes origines sur mon visage, ni même dans mon nom. Mais j’ai parfois l’immense plaisir de reprendre les gens qui me jugent sans me connaître comme l’a fait aujourd’hui le RENADUL. J’ai été discréditée de droit de parole sans concertation ni discussion et de ce fait le RENADUL va à l’encontre de ses propres principes, puisque c’est exactement ce que subit la minorité afro-descendante vis-à-vis de la majorité blanche.

Je crois bien que si les sujets adressés aux blancs n’étaient couverts que par des blancs, on parlerait de racisme. Or il ne s’agit pas de cela dans le journalisme. La politique d’Impact Campus est de publier une panoplie de sujets chaque semaine et c’est « premier arrivé, premier servi ». Je croyais être la première et même la seule à choisir la couverture du documentaire, or selon le RENADUL, ce n’était pas le cas. Je me dédouane de cette méprise car je n’en avais aucunement connaissance. Cependant si j’étais bel et bien la première à choisir la couverture, j’avoue que je ne comprends pas très bien la réaction du RENADUL. Si une afro-descendante a véritablement souhaité faire l’article alors que je l’avais déjà choisi, alors je veux qu’elle sache que je la considère comme mon égale (comme je le fais avec tous mes collègues) et que de ce fait je lui recommande de jouer le jeu « premier arrivé, premier servi ». À l’inverse, si c’est elle qui avait demandé l’article en premier, alors ça aurait été à elle de l’écrire.

Il n’est pas question de race dans le journalisme. Personne n’est plus légitime qu’un autre d’écrire. Si Impact Campus peine à avoir assez de journaliste chaque semaine pour couvrir tous les sujets offerts, c’est bien qu’il y a de la place pour tout le monde. Mais il ne faut pas se plaindre quand on n’est pas assez rapide, au risque de faire entrer le racisme, le népotisme, le favoritisme et le traitement de faveur au sein du journal.

Je conçois qu’un.e. afro-descendant.e. aurait été plus sensible au documentaire Ouvrir la Voix qu’un.e. blanc.che. Évidemment que si on m’avait parlé, si la personne en question était venue me voir pour me dire que c’était important pour elle, je lui aurais volontiers laissé la rédaction de la critique, or ça n’a absolument pas été le cas.

En tant que métisse, j’ai choisi cet article de bonne foi car je me suis reconnue dans plusieurs propos diffusés dans le documentaire. D’ailleurs un des témoignages parlait des minorités « pas assez blanche, pas assez noire » qui sont discriminées de manière extrêmement opposée dans leurs deux pays d’origine. Je fais partie de cette minorité en question. Mais je n’ai pas choisi l’article en sachant à l’avance qu’il me serait aussi adressé. Je l’ai fait sans penser à ma couleur de peau ni à mes origines. J’ai choisi de couvrir le documentaire parce que j’aime le cinéma artisanal et j’aime les battantes comme la réalisatrice Amandine Gay.

Je tiens aussi à préciser qu’une critique est censée porter l’opinion et le ressenti de son.sa rédacteur.trice, et non des personnes concernées par cette même critique. De plus je ne crois pas avoir insulté les afro-descendants en « biaisant » leur histoire. Ayant été réduite à une majorité blanche en l’espace d’un instant, j’ai réalisé que si je n’avais pas été métisse et musulmane, je n’aurais eu aucun argument pour sauver ma liberté d’expression. Mon champ d’écriture aurait été réduit aux sujets touchant exclusivement cette majorité blanche. Je ne crois pas au biais dans le journalisme ni dans l’écriture, l’art et n’importe quel autre domaine qui relève de la liberté d’expression. Le débat est lourd sur ce sujet, ainsi je ne m’étendrai pas dessus car il est hors de ma portée.

Bien que mon entourage ait complimenté mon article, le RENADUL le décrit comme étant « superficiel » et « simpliste ». Je veux toutefois préciser qu’en 600 mots, il est assez difficile de ne pas être simpliste. Néanmoins j’accepte humblement cette critique. Je ne veux surtout pas prétendre en savoir plus sur ce que vivent les afro-descendant.e.s. que les afro-descendant.e.s. eux-mêmes. Aussi, je m’excuse si j’ai offensé ne serait-ce qu’un seul des lecteurs d’Impact Campus avec ma critique. J’ai mis tout mon cœur et toute mon énergie dans cet article et je ne souhaitais que rendre hommage au splendide travail d’Amandine Gay, et aux courageuses femmes qui ont témoigné.

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