Nuances de l’enfance

Comme premier recueil, Alex Thibodeau a publié Infantia chez Le lézard amoureux il y a quelques semaines déjà. Son sujet sort de l’ordinaire et est traité tout en nuances : les jeux d’enfants, entre insouciance et domination, ignorants du consentement.

Par Jessica Dufour, journaliste multimédia

Le recueil, en sept parties, se compose de poèmes courts tantôt en prose, tantôt versifiés. Il dépeint une relation enfantine pas si naïve qui va bien au-delà des confidences à la lueur d’une veilleuse. Une relation d’amitié ou d’amour entre deux jeunes filles. Une relation fusionnelle, voire malsaine. S’en dégage un malaise, un inconfort.

C’est une histoire intense de jeux sexuels, puis de manque viscéral : « Es-tu là ou est-ce ton reflet gluant sur mes cuisses? » et encore : « je retrace la rivière / dans le bois le soleil / dans tes pupilles je pense / à l’amour j’écris des souvenirs / et j’ai tellement tort ». La relation sera vraisemblablement brisée par un déménagement : « Tu m’as coupé les gencives tranché les joues. Tu es partie. » Les deux filles tentent d’entretenir une correspondance qui tombe à plat, trop pâle imitation de la relation intense qu’elles avaient.

Une certaine lucidité surplombe la narration. C’est un regard d’adulte posé sur des souvenirs d’enfance. Au milieu des bricolages, douleur et plaisir se mélangent. Aucun détail n’est laissé de côté.

« […] 

lance-moi tes bonbons amers

retire ta culotte arrache

ta pudeur

 

écorche-moi jusqu’au bout

redessine-moi

exactement comme tu veux

 

on jouera aux ados

et je laisserai sur le tapis gris mon

refus global » 

– Infantia, Alex Thibodeau

Le recueil, bourré d’images, est écrit dans un langage accessible sans être enfantin malgré les références à la Play-Doh, aux paillettes et aux personnages issus de l’imaginaire. On pourrait associer monstres et démons à des clichés, mais après tout, ne peuplent-ils pas l’enfance au même titre que les fées et les loup-garous? Ces peurs que l’on se fait, avec raison ou pas, ces moments de flottement en dehors du réel : « Tu aimes les jeux où l’on disparaît imiter quelqu’un d’autre enfle tes hanches tu crois être une sorcière à l’âge des baisers et des doigts visqueux imagine l’enfant que l’on jette // à la marmite / avant de le manger. »

Dans ces poèmes, presque tous les mots sont à la bonne place. Ça donne un livre au format léger, qui se dévore en une heure et qu’on ne manque pas de relire.

Alex Thibodeau est née, vit et étudie à Québec. En 2019, elle faisait partie de la liste préliminaire pour le Prix de la nouvelle de Radio-Canada. Elle a récemment pris part à La grande traversée du festival Québec en toutes lettres aux côtés de 200 autres poètes internationaux.

 

Crédit image: Kellepics (Pixabay)

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