Photos : Alice Beaubien

La douce indétermination d’Alberto Giacometti

Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) dévoilait mercredi dernier une rétrospective presqu’anthologique de l’œuvre du peintre, dessinateur et sculpteur suisse Alberto Giacometti.

Bâtie chronologiquement, l’exposition retrace la carrière complète de l’artiste, de ses débuts étrangement colorés et ses momentanées inspirations cubistes. La Femme cuillère, œuvre magnifique portant bien son titre d’ailleurs, est un moment fort de la jeune production de Giacometti, moment qui sera d’ailleurs en partie indicateur de la continuité de son travail.

Les angles saillants combinés aux métaux ondulés de Femme couchée qui rêve introduisent bien l’angle onirique de son appartenance au mouvement surréaliste, qui suit dans notre parcours la période cubiste de l’artiste. Cette esthétique du rêve culmine avec le surnaturel génial des multiples versions de Le palais à 4 heures du matin, autant peint que reconstruit avec des fils et des miniatures et photographié devant modèles. Le travail de photographie revient avec un modèle posant avec l’Objet désagréable, structure exposée plus loin dans la grande salle : une pièce amorphe, cristallisée en une forme phallique énorme ornée de pointes. À ses côtes, l’Objet désagréable à jeter. Cette section de l’exposition se complète avec des stèles épaisses aux figures féminines, comme Femme (plate II), et des grossières figures attachées à des fils tendus, notamment Fleur en danger ou Boule suspendue. Très satisfaisantes dans leur simplicité et dans la disposition de leurs formes, ces œuvres sont non sans rappeler l’impact déjà vécu de La femme cuillère.

Plus loin, on trouve plusieurs constructions géométriques plus intéressantes, plus recherchées. Des lignes définitivement non-cubiques de Cube jusqu’aux cages théâtrales de La cage et Figurine entre deux maisons, l’artiste sait faire habiter l’espace de ses sculptures. Même les plus petites deviennent grandioses et dépassent le cadre de leurs socles.

Une complexité insaisissable

L’attention aux détails de présentation était impeccable, comme on peut s’y attendre des expositions du MNBAQ. Aux œuvres se juxtaposaient capsules biographiques, entrevues vidéos et extraits de revues surréalistes des années 30, comme Minotaure, louangeant déjà, et à juste titre, les expositions de Giacometti. Une disposition du designer du musée, Jean Hazel, vient compléter l’univers Giacometti : les nappes de bois ornant les socles jurent parfois un peu avec la froideur de certaines des œuvres, mais c’est tout à l’avantage de laisser parler le travail de l’artiste. Une mise en place plus chaotique aurait sans doute été plus en ligne avec la complexité insaisissable du travail du Suisse, mais aurait sans doute fait reculer les visiteurs plus frileux, qui déjà s’aventurent dans un périple déstabilisant.

On continue l’exploration biographique avec une série de minuscules figurines, représentant souvent des proches de l’artiste : son frère Diego, sa femme Annette et son neveu Silvio sont ses principaux modèles. Il s’inspire aussi, à différents moments de sa production artistique, d’amis et de contemporains. Pensons à Beckett, Sartre, de Beauvoir et Éluard qui font tous une apparition dans le vaste univers de l’artiste. Les plus minuscules des figurines, souvent posées sur de simples socles, réussissent à être aussi impressionnantes, sinon plus, que les figures de grande taille présentées plus loin. La petite tête de Diego au manteau, sortant d’un bloc de bronze comparativement énorme, est sculptée avec un détail et une expression impressionnants.

Une oeuvre par-delà le surréalisme

Le recul du temps n’a pas vieilli l’œuvre de l’artiste suisse, contrairement à quelques-uns de ses contemporains du mouvement surréaliste. Le peintre et sculpteur a su évoluer passé la vague de l’école de Breton et développer son style particulier. Étrangement intime, tout en contemplant une certaine grandeur humaine voulue universelle, l’univers Giacometti est autant grandiose et touchant par moments que refermé sur soi et presque lugubre par d’autres. Une énorme quantité de portraits, sombres et raffinés, ornent les murs de l’une des dernières pièces de l’exposition. Des visages grotesques se tordent de noir dans un arrière-plan gris-foncé, la nuance entre l’humain et le fond se défait et laisse place à une douce indétermination.

La section finale est sans conteste la plus marquante de l’exposition. La tête d’affiche, l’Homme qui marche, accompagné de deux grandes figurines de femmes, ne peut laisser indifférent. Émane de l’homme à la minceur chronique une impression à la fois sereine et insupportablement lourde, comme si la marche de l’homme se dirigeait sur le visiteur, sans pouvoir le contourner. On se rappelle du Nez, présenté plus tôt dans l’exposition, avec son allongement perpétuel, inesquivable.

L’exposition, quant à elle, ne sera pas perpétuelle, mais est bel et bien un rendez-vous à ne pas manquer pour tout amateur d’art quel qu’il soit. Elle est présentée au Musée national des beaux-arts du Québec jusqu’au 13 mai 2018.

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