Festival du nouveau cinéma 2023 : ces longs et courts métrages qui m’ont charmée

Dans le cadre de la 52e édition du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal qui avait lieu du 4 au 15 octobre, j’ai eu le plaisir de voir de sublimes films dont je souhaite souligner la réussite et relever la singularité. Du côté des longs-métrages présentés, je me suis pressée de visionner des œuvres appartenant à la catégorie « Les incontournables », c’est-à-dire celles réalisées par les grands noms du cinéma, en plus de voir le très attendu Les jours heureux de Chloé Robichaud, faisant partie de la « Compétition nationale ». Dans cette même catégorie, en ce qui concerne les courts-métrages, j’ai découvert de véritables perles qui m’ont confirmé que le cinéma québécois ne cessera jamais de m’impressionner.

Par Ève Nadeau, journaliste collaboratrice

Do Not Expect Too Much from the End of the World (Nu aștepta prea mult de la sfârsitul lumii)

2023 – Long métrage – 163 minutes – Roumanie, Luxembourg, France, Croatie

Réalisation : Radu Jude | Scénario : Radu Jude | Distribution : Ilinca Manolache, Ovidiu
Pîrșan, Nina Hoss

Crédits photo The Film Stage

Dans cette comédie noire, Angela (Ilinca Manolache), une assistance de production, participe à la réalisation d’une publicité sur la sécurité au travail, en plus d’afficher sur TikTok son alter ego viral nommé Bobita, un machiste à la Andrew Tate qu’elle personnifie sous un mauvais filtre « beauté » virtuel – une tête chauve avec un énorme monosourcil. Cette double vie n’est-elle pas intrigante ? À celle-ci, il faut ajouter l’histoire d’une chauffeuse de taxi qui traverse elle aussi la ville de Bucarest à bord de sa voiture. Ce second arc narratif constitue en fait la deuxième partie de l’œuvre de Radu Jude, quelques extraits tirés d’un film roumain de 1982, Angela Moves On.

L’insertion de cette archive cinématographique peut en étonner plusieurs, ne serait-ce qu’en raison du passage soudain du noir et blanc à l’image en couleur. Honnêtement, je ne sais pas si la convergence des deux arcs est forcée ou habilement ficelée. D’une part, j’ai beaucoup aimé l’entrecroisement des deux destins de femmes sur la route – l’une qui va à la rencontre de travailleur.euses accident.ées, l’autre qui doit conduire divers.es étranger.ères. D’autre part, je trouve dommage que l’intégration du film de ’82 ne soit pas proportionnelle à la durée de l’œuvre première dont la dernière partie – un plan séquence à la fois hilarant et démoralisant – est interminable.

Néanmoins, l’œuvre complète est absolument fascinante et vaut le détour : Radu Jude s’amuse à revisiter le road movie, la satire, en plus de flirter avec l’essai cinématographique qui interroge les mœurs de la Romanie moderne avec audace et absurdité. Je préfère ne pas en révéler davantage, mais disons que ce n’est pas tout les films qui font des problèmes de sexisme, de sécurité au travail et de relations économiques tendues entre pays un parfait cocktail comique.

Les Filles d’Olfa

2023 – Long métrage – 110 minutes – France, Tunisie, Allemagne, Arabie saoudite

Réalisation : Kaouther Ben Hania | Scénario : Kaouther Ben Hania | Distribution : Hend Sabri, Nour Karoui, Ichraq Matar, Olfa Hamrouni, Eya Chikahoui, Tayssir Chikhaoui

Crédits photo Tanit Films

Je le dis d’emblée : cet innovant documentaire est mon coup de cœur du festival. Il met en scène Olfa Hamrouni, une femme tunisienne, ainsi que ses deux filles cadettes, Eya et Tayssir. Nous retrouvons également les deux aînées, Rhama et Ghofrane, qui ont disparu quelques années plus tôt. Souhaitant raconter l’histoire de cette famille, la réalisatrice, Kaouther Ben Hania, fait appel à des actrices qui personnifient les deux sœurs plus âgées, alors que celles restantes jouent leur propre rôle. Il en est de même pour la mère, sauf pour les scènes plus dures à tourner pour lesquelles une actrice la remplace.

C’est de cette rencontre entre les vrais et faux membres de la famille qu’émerge la tension entre le documentaire et le récit fictionnel : on n’arrive jamais à bout des scènes de fiction, à cause du continuel métadiscours commentant les événements tels qu’ils sont réellement advenus. Effectivement, Olfa, en plein tournage d’une scène illustrant un moment de son mariage, dirige son double fictif (Hend Sabri), lui indiquant ses propres états d’âme qui teintaient la réalité d’autrefois, de la même manière que les deux filles cadettes se remémorent fréquemment les gestes et manières de leurs sœurs disparues. Conséquemment, l’émotivité les gagne, les empêche d’en finir avec le tournage, provocant alors une interruption dans la fiction qui tente de restituer les anecdotes du passé. Ce brouillage des frontières est captivant et constant du début à la fin, ce qui me convainc que le film ne s’essouffle à aucun moment.

Le récit raconté dans les coulisses ou, disons, hors fiction, se mêle à une mise en scène qui le transforme, le déguise, dans une construction scénaristique innovatrice dont je n’avais été témoin auparavant. Je souhaite également louanger les prises de vue, particulièrement le cadrage des filles, chaque fois qu’elles s’adressent à la caméra, que j’ai trouvé stylisé et qui évacue une froideur clinique que l’on peut parfois reprocher aux films documentaires. Évidemment, à sa sortie, je vous presse de vous rendre en salle !

Les jours heureux

2023 – Long métrage – 118 minutes – Canada

Réalisation : Chloé Robichaud | Scénario : Chloé Robichaud | Distribution : Sophie Desmarais, Sylvain Marcel, Nour Belkhiria, Vincent Leclerc

Crédits photo Laurence Grandbois Bernard

Je me doute que les comparaisons avec le film Tár paru l’an dernier doivent pleuvoir sur ce dernier film de Chloé Robichaud. Or, loin d’être homologues, les deux titres ne se ressemblent qu’en raison de leur protagoniste, toutes deux étant une femme cheffe d’orchestre au sein d’une relation lesbienne. Maintenant que c’est dit, passons à l’essentiel : la performance de Sophie Desmarais est exceptionnelle, encore plus que celle livrée dix ans auparavant (qui était déjà remarquable) dans le premier long-métrage de la réalisatrice, Sarah préfère la course. Dans son dernier film, elle incarne la virtuose Emma qui, en plus de diriger pour la première fois l’Orchestre Symphonique, doit naviguer différentes relations interpersonnelles, la plus conflictuelle étant celle avec son père (Sylvain Marcel), aussi son agent.

J’ai d’abord craint que cette relation filiale mise de l’avant, qui soutient certaines peurs intériorisées par le personnage principal, demeure de surface et nous éloigne du cœur du récit, du parcours initiatique de l’héroïne. Bien au contraire, la pertinence de l’exploration de la relation père-fille résonne dans tous le film, jusque dans le rythme haletant des grandes scènes musicales, alors que la musique orchestrale est doublée de la respiration d’Emma dans un mixage sonore impeccable. Elle teinte également la relation entre la protagoniste et sa partenaire (Nour Belkhiria), tendue pour autre chose qu’une menace discriminatoire (un bon rappel qu’au cinéma, chaque représentation homosexuelle ne nécessite pas l’écran sensationnaliste d’un regard homophobe… Merci, Robichaud).
L’affrontement et la colère, en effet, existent ailleurs, parfois dans la musique qui en est un bon vecteur : en s’adressant à ses musicien.nes, Emma évoque les compositions de Schönberg qui parlent à la partie violente de chacun.e d’entre nous. Après leur répétition, son collègue (Vincent Leclerc) lui demande où se cache sa propre rage. Je serais prête à dire que mon amour pour Les jours heureux réside en grande partie dans cette question qui, durant cette scène, reste en suspens.
Été 2000
2023 – Court métrage – 20 minutes – Canada

Réalisation : Virginie Nolin, Laurence Olivier | Scénario : Virginie Nolin, Laurence Olivier | Distribution : Millie-Jeanne Drouin, Jeana Arseneau, Dylan Walsh
Crédits photo La Créative Films
Regarder ce film, c’est se laisser submerger par les réminiscences d’une époque où régnait l’innocence – ou du moins c’est ce que l’on croyait. Rien ne peut mal aller quand tout ce qu’il y a à faire c’est s’habiller comme Avril Lavigne et manger des Mr. Freeze au skate-park. Ce quotidien dépeint par Été 2000 est celui de Sarah, une enfant de neuf ans que doit garder Raphaëlle, sa demi-sœur plus âgée, pendant que leurs parents s’absentent. Cette dernière traîne toujours avec elle une caméra mini DV que Sarah souhaite à son tour utiliser, intriguée par elle. Comme dans le film Aftersun paru l’an dernier, il y a ici une alternance maîtrisée entre les scènes captées par la vieille caméra et celles qui arrivent hors de ce cadre, c’est-à-dire les images filmiques réelles.

À mon avis, le parallèle à faire avec le long-métrage de Charlotte Wells s’étend jusqu’à leur approche de la sexualité que l’enfant apprivoise en même temps d’être exposée à celle des autres, que ce soit dans les magazines trouvés au dépanneur ou en observant discrètement un couple d’adolescent.es se frencher. La force du film de Virginie Nolin et Laurence Olivier réside dans les notions de consentement et d’identité de genre qui ne sont pas abordées frontalement, mais par l’entremise du mutisme, de la bienveillance sororale qui n’a pas besoin de mots pour être comprise, transmise. Parfois, il suffit seulement de traîner sur soi une caméra portative et un fusil imaginaire…

Gaby les collines

2023 – Court métrage – 21 minutes – Canada

Réalisation : Zoé Pelchat | Scénario : Zoé Pelchat | Distribution : Lou Thompson, Gaspard Chartrand, Emmanuel Bilodeau

Crédits photo h264 Distribution

Je l’avoue : n’ayant pas immédiatement reconnu Zoé Pelchat, la réalisatrice derrière l’excellente websérie Dominos (2018), j’ai d’abord et surtout visionné ce film en raison de sa localisation. L’été me manquait trop, alors je souhaitais retrouver des paysages estivaux par le prisme du cinéma. Je me suis dit que comme le merveilleux vidéoclip de la chanson Ta main d’Ariane Roy, le film me presserait à quitter Québec pour les Îles-de-la-Madeleine. Effectivement, Gaby les collines m’invite à me hisser le haut de ses falaises, à savourer la brise de ses plus belles plages et à y être accueillie par mon père divorcé en déni de ma puberté. Si le dernier point me concerne zéro, il correspond néanmoins à la réalité de Gaby, la protagoniste de treize ans dont les vacances aux îles initient un apprivoisement – par soi, par les autres – du corps féminin en métamorphose.

Je me rappellerai toujours ma propre puberté, le jour où je suis allée chez le médecin, car une bosse sur mon torse m’effrayait, qui s’est avéré être l’un de mes seins en pleine croissance (bin oui, j’aurais dû y penser). Dans le court de Pelchat, ce malaise corporel ressenti en début d’adolescence perce l’écran et m’a fait grincer des dents – mais dans le bon sens. En effet, comme c’est le cas dans Été 2000, j’ai trouvé la représentation de l’éveil à la sexualité féminine très crédible. La vraisemblance de l’inconfort de Gaby face à sa transformation et au regard d’autrui n’est pas toujours bien explorée dans ce type de coming-of-age : plusieurs se tourneront inutilement vers l’hypersexualisation du corps féminin, alors qu’un excellent jeu d’actrice et de bons dialogues, accompagnés d’une cinématographie dont la netteté est à couper le souffle, peuvent suffire.

Aujourd’hui c’est dimanche, demain on meurt

2023 – Court métrage – 14 minutes – Canada

Réalisation : Maxime Genois | Scénario : Maxime Genois, Claude Falardeau | Distribution : Marie Falardeau, Jonathan Beaulieu-Cyr, Jérémie Gariépy Ferland

Crédits photo Travelling Distribution

J’ai un grand faible pour les fictions postapocalyptiques sentimentales : parle-moi de pandémie meurtrière, d’invasion de zombies, en même temps d’explorer les sentiments de nostalgie et de deuil, et je suis tout ouïe (vivement la prochaine saison de The Last of Us) ! Le court-métrage de Maxime Genois imagine un village déserté, après que ses habitant.es soient mystérieusement tombé.es un.e à un.e comme des mouches (est-ce dû à un virus ? une épidémie ?). On suit un jeune homme qui doit faire preuve de résilience après avoir perdu sa famille, qu’on apprend à connaître à travers une voix apaisante s’adressant à lui, celle d’une femme absente du récit. Cette narration au « tu » ne m’a jamais paru inadéquate, alors que ce choix de voix narrative, avouons-le, est parfois risqué. Au contraire, sa distance et sa neutralité (bien que ça puisse paraître paradoxal) portent une puissante charge émotive, comme la musique ambiante et les plans contemplatifs qui la complémentent.

C’est grâce à elle que l’on découvre les états d’âme du survivant ainsi que les événements qui le bousculent : la mort des êtres aimés, le changement de saison et la lecture d’un poème de Michel Garneau qui m’a fait pleurer. C’est une œuvre foncièrement mélancolique, axée sur la solitude qu’on apprend à habiter, sur la poésie du quotidien qui, comme le bonheur, est peut-être seulement « réelle que lorsqu’elle est partagée », nous dit la célèbre citation tirée d’Into the Wild.

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