La triste réalité

Il faut bien se faire comprendre : s’attaquer à la qualité littéraire d’un livre ne devrait pas, théoriquement, remettre en question son propos. Lire ici : si un bouquin dénonce la fraude, affirmer que ce bouquin est mauvais ne constitue pas une apologie des fraudeurs. Trêve de prémisses, parlons de La main d’Imam de Ryad Assani-Razaki, lauréat du Prix Robert-Cliche 2011. 

La misère d’Afrique, voilà le sujet d’un roman où le viol, le détournement de mineurs, la violence faite aux enfants, les injustices sociales et l’inégalité mondiale entre Africains et Blancs sont présentés dans leur fracassante réalité. À moins que, entre autres hypothèses de lecture, il s’agisse d’un livre sur l’envie d’immigrer – celle du jeune Imam, sans doute – mais celle aussi de toute une jeunesse sans avenir, sans prise aucune sur son existence. Cette théorie est confortée par le jeu grossier du sommaire de la fin : on s’aperçoit que le titre des chapitres forme un acrostiche enfantin où se lit, en gras, le mot IMMIGRATION. Passons outre : il s’agit là d’un sujet profond sur la triste réalité d’une certaine Afrique, nous ne jugeons pas de son intérêt et de son importance. Nous jugeons de la manière.

Le pari de ce roman a été de partager la narration de l’histoire entre une poignée de narrateurs. Ce clin d’œil à Faulkner, père de ce procédé – et virulent dénonciateur des injustices noirs-blancs aux États-Unis du début du siècle –, La main d’Imam ne sait le rendre efficacement. Entre Toumani, Hadja et Alissa, les trois narrateurs, on ne peut déceler nulle différence, sinon dans les faits : l’écriture reste la même, la voix larmoyante, alourdie de dénonciations voilées se fait sentir de page en page, sans discontinuer. L’écriture, quant à elle, explicative à souhaits, raconte malaisément son histoire : on est ralenti sans cesse par les apartés des narrateurs qui tentent d’exprimer le profond mal-être qui les habite. Cette pratique empêche l’adhésion : on se fait expliquer une situation par le biais de voix diverses, les voix, du coup, se confondent derrière la situation seule, qui devient le centre du roman. Et tout ne veut que montrer cette situation. L’ambition esthétique, on le devine, devient nulle et il ne reste, à la fin, que la thèse. Celle d’expliquer la triste réalité. Celle d’expliquer l’immigration d’un noir vers le monde des blancs.

À ce compte, songeons-nous à la fin du roman, Assani-Razaki aurait dû écrire un essai. Mais il n’aurait pas gagné le prix Robert-Cliche décerné au premier roman.

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