La Rotonde présentait jusqu’au 19 mars dernier Junkyard / Paradis, une production signée Mayday

Une claque en pleine face

«À une époque où tout est spectacle, mais pas nécessairement spectaculaire, à l’heure où il est devenu si facile de se dévoiler sur toutes les plateformes et de façon constante et immédiate, le concept du spectacle est-il encore un rituel pertinent? Retrouvons-nous, vous dans les gradins, nous dans l’arène, pour une petite goutte de grâce et un soupçon de désolation», est écrit dans le programme par Mélanie Demers, chorégraphe de la compagnie de danse montréalaise Mayday, en guise d’invitation. Transportons-nous dans le trash-univers de Junkyard / Paradis. 

Connaissez-vous le mouvement In-yer-face? Né dans les années 1990 en Grande-Bretagne, ce courant théâtral décrit un type d’art qui se veut à la fois provocateur et direct, ayant suffisamment de poigne pour rejeter en pleine face un miroir critique et frappant au spectateur. Les auteurs n’hésitent pas à installer sur scène des éléments perturbants dans le but de choquer. Tout y passe: langue sale, nudité, sexe, violence et tabous. La structure est totalement démantelée et les repères, bouleversés par autant de hargne et de férocité.

Junkyard / Paradis, c’est un univers dépotoir en plusieurs tableaux. Trois plateformes, sur lesquelles reposent des débris d’humanité, entourent les cinq danseurs. Ici, les barrières tombent. Les changements à vue et l’attitude désinvolte des danseurs mènent à un premier duo entre Brianna Lombardo et Nicolas Patry. Leurs corps s’entrechoquent dans une valse de sexe teintée de rage, de haine et de violence. La gifle est franche, honnête, elle frappe là où ça fait mal et, dans un certain sens, elle fait un bien terrible. On baigne directement dans le junk, dans le jus de poubelle. Les échanges se dessinent et se multiplient sur un fond de Nutella, de tomates en conserve, de beurre d’arachides Kraft et jettent en pleine gueule le constat dégoûtant du monde dans lequel on évolue.

La chorégraphie de Mélanie Demers nous sert dans une formule «all you can eat» le laid et le désolant du monde d’aujourd’hui. C’est la célébration de la société-poubelle en allant jusqu’au couronnement de la reine du «don’t give a fuck». On lance des confettis sur le «je m’en foutisme» général, sur la paresse collective et l’abus individuel.

 Un tableau particulièrement touchant m’a carrément laissée sans voix. Un des danseurs, Jacques Poulin-Denis, après s’être livré à un monologue des plus mordants, s’installe sur une toile, des cannes de tomates devant lui. À ce moment, on réalise l’ampleur de son talent de danseur: il enlève sa prothèse qui lui sert de deuxième jambe. Chose faite, il nous transporte en plein champ de bataille. Toute l’horreur de la guerre débarque: ça éclabousse, le sang gicle, le danseur devient le soldat qui perd sa jambe au combat. La scène est morbide, c’est sale, c’est sombre, ça dégouline et ça sent la tomate.

Le travail de Mélanie Demers réside dans des images simples et percutantes. Il suffit d’une poignée de paillettes, de rubans et de bouffe pour recréer la déchéance humaine. Malgré le désir d’insérer des parcelles de paradis dans la création, on se rend vite compte qu’avec tout ce qui se passe dans le monde, le constat désolant d’une société «violente-porno-trash» est une vision beaucoup plus honnête pour la chorégraphe de la compagnie Mayday.

Crédit photo : Alexandre Drouin

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