Albertine en cinq temps : la rage d’une femme

Alors qu’on célèbre le 30e anniversaire de la création de la pièce, le Théâtre du Trident présentait, la semaine dernière, une proposition de la metteure en scène Lorraine Pintal, également directrice artistique du Théâtre du Nouveau Monde. C’est donc une collaboration qui a mené à la mise sur pied de cette pièce culte de Michel Tremblay.

Ann-Julie Nadeau

Albertine en cinq temps, c’est cinq actrices interprétant le même personnage à des étapes différentes de la vie d’Albertine, allant de 30 à 70 ans. L’intrigue se déploie autour de la plus vieille Albertine, 70 ans, qui emménage dans un foyer pour personnes âgées. Elle ressasse ses vieux souvenirs, retraçant toute une époque.

Sur la même scène, toutes les versions d’Albertine y passent, de même que sa sœur Madeleine, surgissant du passé. Elle confronte sa grande sœur, interroge les représentations d’elle-même. Les Albertine se renvoient la balle sans cesse, laissant paraître peu à peu leurs états d’âme.

Ce que l’auteur met en lumière par-dessus tout, c’est la rage des femmes. Michel Tremblay incarne la voix d’une génération par sa vision unique du peuple québécois, sa façon de représenter le quotidien des familles d’ici. C’est dans une ère de grands changements pour les femmes que Tremblay fait évoluer ici le personnage principal. C’est la rage qui bouillonnera en elle tout au long de sa vie. Albertine possède sa propre histoire. Elle déteste les hommes, elle se sent enfermée dans son rôle de femme au foyer, incomprise par sa famille. Mais « Bartine », comme l’appelle familièrement sa sœur Madeleine, pose un regard sur la condition féminine. Elle jongle mal avec ses responsabilités de mère et perd le contrôle, à 30 ans, lorsqu’elle vit un épisode de violence avec sa fille. Enragée par l’injustice de son destin, elle souffre d’autant plus du jugement de sa famille. Sa rage n’est nullement que violence, elle veut vivre, s’émanciper.

Par ailleurs, l’impressionnante distribution rend hommage à la pièce par son jeu, d’une intensité désarmante. Les actrices se distinguent par des nuances de rage toutes différentes mais aussi touchantes les unes les autres. Monique Miller, la plus vieille Albertine, s’impose par sa sensibilité et par la justesse de son interprétation. Dans un chassé-croisé parfait, Émilie Bibeau, Lise Castonguay, Éva Daigle et Marie Tifo évoquent la tragédie d’Albertine. C’est sans oublier Lorraine Côté, dans le rôle de Madeleine, résignée et confortable dans son « petit bonheur ben ordinaire » qui démontre une autre facette de l’époque.

On retient de la proposition de Lorraine Pintal qu’une telle histoire ne vieillit pas. 30 ans plus tard, Tremblay frappe aussi fort par son discours remettant en question une violence encore taboue aujourd’hui. On s’identifie à cette femme en cinq copies, au petit drame du grand quotidien. On entend souvent les termes de crise de la quarantaine, de la cinquantaine… Pour Albertine, c’est la rage d’une vie.

 

 

 

 

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