Coups de coeur — Cinéma 2014

Avec la fin de l’année vient le temps des listes et des palmarès. Nathan Murray, journaliste culturel pour Impact Campus et cinéphile assidu, se joint cette année à cette tradition des fêtes et vous propose son « top 10 » des meilleurs films de 2014. Une liste où favoris de la critique et coups de cœur personnels se côtoient, et qui propose un beau voyage cinématographique, d’un bout à l’autre de cette année 2014.

10. Gone Girl, de David Fincher. États-Unis.

Avec Gone Girl, David Fincher livre un film d’une redoutable efficacité, un suspense sans merci, à la mécanique redoutable. De retour à la maison après une sortie matinale, Nick Dunne constate la disparition de sa femme, Amy, le jour de leur anniversaire de mariage. Rapidement, la police en vient à le considérer comme le principal suspect, alors que se dévoilent peu à peu les indices qui l’accablent. Mais rien n’est clair dans cette affaire : les zones de gris s’entremêlent dans ce récit cruel, oppressant et pervers, mené de main de maître par un réalisateur au sommet de son art. Maître du genre, David Fincher sait mieux que personne créer les atmosphères les plus angoissantes et les plus tordues, qui nous happent pendant près de 2h30 pour nous délivrer étourdis, mais ravis. Dans les rôles principaux, Ben Affleck et surtout Rosamund Pike sont tout simplement parfaits. Un très bon film.

9. La Vénus à la fourrure, de Roman Polanski. France.

Pour son premier long-métrage tourné dans la langue de Molière, le vétéran cinéaste polonais s’est lancé dans l’adaptation de La Vénus à la fourrure, une pièce du dramaturge américain David Ives, inspirée d’un roman de Leopold von Sacher-Masoch. Le résultat est saisissant, d’une rare puissance : Polanski nous offre un huis clos parfaitement maîtrisé, intense et angoissant, un duel au sommet entre Thomas, un metteur en scène suffisant et désabusé ayant signé une adaptation de l’œuvre de Sacher-Masoch pour le théâtre, et Vanda, une actrice délurée et vulgaire s’étant présentée en retard à son audition. Pendant une heure et demie, les deux personnages s’affrontent dans un fascinant jeu de pouvoir, de séduction et de manipulation, sans aucune merci. Emmanuelle Seigner, absolument renversante, merveilleuse de vulgarité et de sensualité, trouve sans doute en Vanda son plus grand rôle en carrière, tandis que le toujours formidable Mathieu Amalric incarne avec brio un metteur en scène qui, d’abord dédaigneux, tombe progressivement sous le charme de son actrice. En résulte un film d’une rare qualité, dérangeant et pertinent, aux dialogues tranchants et à la mise en scène diaboliquement affûtée, récompensée du César de la meilleure réalisation.

8. Pas son genre, de Lucas Belvaux. France.

L’une des plus belles surprises de l’année. Une comédie romantique surprenante et profondément émouvante, qui raconte la rencontre improbable de Clément, un enseignant de philosophie, intellectuel de haute volée, et de Jennifer, une coiffeuse monoparentale, simple et charmante. L’un lit Kant, l’autre Gavalda. Et pourtant, ils plongeront tous deux dans une touchante histoire d’amour, avec retenue pour le philosophe parisien, avec passion pour la fille d’Arras. Lucas Belvaux filme avec sensibilité cet amour ordinaire, avec ses fulgurances et ses mesquineries, depuis ses premiers balbutiements jusqu’à sa saisissante conclusion. Dans le rôle de Thomas, Loïc Corbery est parfait, entre distance et tendresse. Mais la véritable star du film, celle qui lui donne son âme, c’est Emilie Dequenne. L’actrice belge est absolument renversante en coiffeuse ingénue, dévouée, et généreuse à fendre l’âme. Elle donne toute sa lumière et sa force au film, touchant, dans un autre registre, les sommets qu’elle avait déjà atteints en mère désespérée dans À perdre la raison. Une grande actrice, qui brille de mille feux dans un film coup de cœur.

7. Whiplash, de Damien Chazelle. États-Unis.

L’un des meilleurs films américains de cette cuvée 2014, Whiplash nous entraîne au Schaffer Conservatory de New York, prestigieuse école de musique où Andrew Neiman, jeune batteur qui en est à sa première année d’études, est bien décidé à laisser sa marque. Remarqué par Terrence Fletcher, professeur vedette de l’institution, il intègre finalement sa classe. Il tombera alors peu à peu sous la coupe de cet enseignant sévère et tyrannique, renversant de dureté et de cruauté, obsédé par l’idée de dénicher le prochain virtuose du jazz. Chazelle met ainsi en scène un drame d’une folle intensité, sans temps mort, le jeune Neiman sacrifiant tout aux exigences de son mentor, jusqu’à la déception, puis l’explosion finale, dans une scène d’anthologie. Le film est servi par une réalisation dynamique, nerveuse, engagée, et une bande sonore d’une exceptionnelle qualité. Dans le rôle principal, Miles Teller (Andrew) est d’une grande justesse, et on s’attache immédiatement à son personnage. C’est cependant J. K. Simmons qui, en incarnant Fletcher, crève l’écran : son chef d’orchestre brutal et intransigeant restera à coup sûr dans les mémoires comme l’un des personnages marquants de 2014, et lui vaudra assurément une nomination aux Oscars.

6. Casse-tête chinois, de Cédric Klapisch. France.

Une gâterie. Un film léger, mais intelligent, riche de belles astuces de réalisation même si l’ensemble demeure plutôt conventionnel, quoique d’un grand dynamisme. Au-delà de la forme, cependant, ce qui réjouit avec Casse-tête chinois, ce sont les personnages, drôles, attachants, adorablement dysfonctionnels. Qu’on renoue avec Xavier (Romain Duris), Wendy (Kelly Reilly), Isabelle (Cécile de France) ou Martine (Audrey Tautou), ou qu’on les découvre une première fois, la joie est la même. À l’aube de la quarantaine, les quatre compères, pour la plupart installés à New York, sont toujours aussi plein de surprises, et le regard que pose Klapisch sur ces anciens étudiants Erasmus est toujours pertinent, drôle et décalé, certes, mais non dépourvu de justesse et de finesse. Divorce, infidélités, retrouvailles et découverte de la jungle américaine s’entremêlent dans ce copieux long-métrage : recette classique, revue à la sauce Klapisch. Un film enthousiasmant, à la joie tapageuse et contagieuse. Qui donne le sourire. Encore et encore.

5. Interstellaire, de Christopher Nolan. États-Unis, Grande-Bretagne.

Le réalisateur des plus récents Batman et d’Inception nous propose, avec Interstellaire, un autre « blockbuster d’auteur » de grande qualité. Cette fois, le prodige britannique se tourne vers l’espace lointain et met en scène une grandiose épopée de science-fiction, un fascinant périple à travers les astres et les âges. Alors que, sur Terre, la race humaine se meurt, un groupe d’explorateurs part à la recherche d’une planète habitable, profitant de l’apparition d’une anomalie spatio-temporelle près de Jupiter. Le voyage lui-même est captivant, à la fois intense et contemplatif, source de multiples émerveillements. Au-delà de la plastique, cependant, Nolan livre aussi un film d’un grand lyrisme, souvent émouvant, parfois déchirant. À la quête presque désespérée des explorateurs vient en effet se greffer la douleur d’une famille : Cooper (Matthew McConaughey), le pilote de l’expédition, a en effet dû laisser ses enfants derrière lui. Les communications entre Cooper et sa fille Murphy (Jessica Chastain), en particulier, arrachent les larmes. Si le long-métrage s’essouffle un peu vers la fin et se perd dans une dernière partie trop ésotérique, qui singe en vain 2001, L’odyssée de l’espace de Kubrick, Interstellaire demeure l’un des meilleurs films de l’année, étourdissant de démesure. Les images des champs terrestres desséchés et des espaces infinis, puissamment évocatrices, sont d’une beauté inouïe ; et la bande sonore de l’omniprésent Hans Zimmer est tout simplement exceptionnelle. Un film à voir absolument.

4. Mommy, de Xavier Dolan. Canada.

Le meilleur film de Xavier Dolan, prix du jury à Cannes. Après le terne Tom à la ferme, l’enfant chéri de la Croisette renoue avec ses fulgurances et présente, dans ce long-métrage, toute l’étendue de sa verve cinématographique. Mommy est un film imparfait, certes ; âpre, criard, rude, parfois brusque et brutal. Mais l’émotion qu’il dégage est sans pareille, musique et image s’entremêlant en tableaux magnifiques, intenses et bouleversants. Et, au cœur de cette nouvelle offrande du prodige québécois, on trouve trois personnages plus grands que nature, immenses de générosité et de douleur : Diane, mère monoparentale écorchée par la vie mais dévouée à son fils au-delà du possible ; Steve, fils aimant mais fucké, enfant terrible au cœur immense ; et Kyla, la douce voisine, effacée mais lumineuse. Dans les rôles principaux, Anne Dorval et Antoine-Olivier Pilon crèvent l’écran, mais c’est Suzanne Clément qui, en amie bègue et fragile, émeut le plus. Un film déchirant, génial, véritable feu d’artifice formel et émotionnel.

3. Le vent se lève, de Hayao Miyazaki. Japon.

Le dernier film du grand maître japonais de l’animation est un chef-d’œuvre. Une fresque biographique émouvante et poétique, qui retrace, en une adaptation libre et sublime, la vie de Jiro Horikoshi, l’ingénieur qui a conçu les terribles « Chasseurs zéro », utilisés par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre rêve et réalité, onirisme et durs coups du sort, les dessins de Miyazaki nous racontent un homme passionné et dévoué, un visionnaire d’une grande douceur, un rêveur pris malgré lui dans les affres de la guerre. Mais celle-ci demeure toujours au second plan : c’est la création, la recherche de la perfection, qui est le véritable objet du film. L’amour, aussi : celui, magnifique, grandiose, d’une infinie tendresse, qui unit Horikoshi et Nahoko Satomi, lumineuse jeune femme atteinte de tuberculose. Les images, élégantes et simples, et pourtant si expressives, sont dignes des plus beaux films du cinéaste japonais. Une œuvre d’art, émouvante, d’une tristesse absolue, mais qui fait malgré tout chaud au cœur. Un déchirant, mais merveilleux adieu.

2. Nebraska, d’Alexander Payne. États-Unis.

Il y a déjà deux ans que ce magnifique film du réalisateur de The Descendants concourait à Cannes, valant à Bruce Dern le prix d’interprétation. Nebraska n’a cependant pris l’affiche dans la Vieille Capitale qu’une semaine avant les Oscars. Cadeau tardif, mais bienvenue : il s’agit sans aucun doute du plus beau film américain de l’année, un road movie en noir en blanc sobre et élégant, d’une grande sensibilité. Woody Grant (Bruce Dern, formidable), un vieillard souffrant d’Alzheimer, est persuadé d’avoir gagné un million à la loterie. Bien décidé à récupérer son prix imaginaire, il s’engage avec son fils David (Will Forte, dont la prestation de fils dévoué va droit au cœur) sur la longue route qui mène du Montana au Nebraska, retrouvant au passage la ville de son enfance et certains membres de sa famille, rednecks attachants et joyeusement obtus. Alexander Payne pose ainsi son regard sur les régions pauvres et dévitalisées du centre des États-Unis, qu’il nous fait découvrir avec une tendre ironie. La photographie est tout simplement superbe, et l’histoire, à la fois drôle et touchante, est saisissante de vérité et d’humanité. Un coup de cœur absolu.

1. La Grande Bellezza, de Paolo Sorentino. Italie, France.

En compétition à Cannes en 2013, le film de Paolo Sorentino était reparti bredouille, avant de tout rafler aux Prix du cinéma européen quelques mois plus tard. Juste retour des choses : La Grande Bellezza est une merveille, un film d’une incomparable beauté, à la réalisation totalement maîtrisée. La caméra du réalisateur italien nous dévoile une Rome grandiose, qui tantôt s’étire paresseusement, tantôt sombre dans une folie festive et décadente. Au centre de cette effervescence lascive, on retrouve Jep Gamberdella, écrivain acclamé qui depuis la parution de son seul roman jeunesse vit sur sa gloire. Toni Servillo éblouit dans ce rôle de dandy désabusé, qui se perd en mondanités infinies. Les dialogues sont acérés, vifs et truculents, et les personnages secondaires forment une fascinante et énigmatique galerie. Quant à la réalisation de Sorentino, très fellinienne, elle est éblouissante de maestria : les images de Rome sont magnifiques, les plans constituent de véritables tableaux, savamment composés, minutieusement établis. La musique, superbe, parfois éclatée ou subtile, toujours juste, se décline des grandes pièces du répertoire classique aux succès de boîte de nuit. Chaque morceau épouse le propos à la perfection, et ainsi se succèdent les scènes mémorables. Un chef-d’œuvre, qui nous laisse sous le choc, comme hypnotisé, et hante l’esprit longtemps après le premier visionnement. De loin le meilleur film de l’année.

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