Aperçu du Soldat de verre de l’auteur canadien Steven Galloway.

Sur le fil de l’histoire

«Nous sommes tous des soldats de verre», écrit Steven Galloway dans ce roman offert en version originale anglaise sous le titre Ascension. Roman qui relate l’évolution d’une famille de Roma, communément appelés Gypsies, et qui, du même coup, rend compte des misères de ce groupe ethnique d’Europe, des jugements qu’il essuie, de ses croyances et convictions profondes. Dans un univers mystique de légendes et de cirque, les membres de la famille Ursari se libèrent du malheur auquel on les destine en devenant funambules. Des soldats de verre parce que forts, imperturbables, mais du haut de leur fil de fer, un seul faux pas suffit à ce qu’ils s’effondrent.  

Original, certes. Ce roman audacieux nous convie, grâce à des descriptions justes de la réalité dans les airs, à une traversée du Grand Canyon et de la distance qui sépare les tours du World Trade Center. Les images se forment; le danger se concrétise. Avec Galloway, nous ne sommes pas dans le style, mais dans la précision. Le détail est précieux; il permet au lecteur de suivre chaque manœuvre, chaque risque dans l’ascension des hommes (sur le fil comme dans la vie), chaque erreur et échec.

Toutefois, dans sa facture de verre cassé, on peut justement reprocher au livre un certain éparpillement. Omniscient, le narrateur pose non seulement sa lunette sur tout, mais sur tous. Comme une caméra qui lorgnerait même chez les voisins. Les Ursari demeurent au centre du roman, mais chaque personnage que la famille rencontre se voit l’objet d’une nouvelle trame narrative. Chacun hérite de ses propres fragments d’histoire, participe au portrait difficile que Galloway trace de l’homme, mais également d’une mosaïque de destins aux importances très variables. Bref, trop de fils tendus par le narrateur. Certains personnages demeurent jusqu’à la fin, mais  (et une telle dispersion l’oblige), d’autres sont abandonnés quelque part en route.

Pas que cette tendance à la propagation ne soit pas calculée par l’auteur. Elle s’articule impeccablement; on ne se s’y perd jamais. Cependant, elle empêche un attachement du lecteur, qui aurait bien sa place dans l’aventure de la famille d’acrobates. En fait, un détachement s’opère dans le texte: l’émotion n’est pas de la partie, même si la tragédie est tout à fait présente. Des incendies foudroient des familles, des injustices en condamnent d’autres, des fils se touchent, certains se cassent (au sens métaphorique). Et ce qui ressort, ce sont ces notions de destin et de certitude: « Enterrez-moi comme vous voudrez [est-il écrit dès la première page du livre] ». «Je mourrai debout.»

Au fond, l’auteur du roman Le soldat de verre prend le parti de présenter les éclats, la fragilité, mais de façon concrète, sans débordements et dans la droiture, comme un soldat. Loin du sensible et du lyrisme, il expose moult parcours d’hommes; se place au-dessus des personnages pour nous offrir leurs histoires étonnantes, en équilibre sur son fil de fer. 

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