Commentaires sur le premier roman de Catherine Leroux, La marche en forêt

Une épopée familiale

La marche en forêt, c’est l’histoire d’un homme, d’une femme, d’un père, d’une nièce, d’un frère, d’une aïeule, d’une tache de sang. Une épopée familiale. Des générations qui se regroupent pour un portrait unique. Des fragments de vie qui s’éparpillent dans un univers romanesque enchanteur. L’arbre généalogique est là qui pousse, on le sent qui évolue, déploie ses branches, son feuillage: la famille s’élargit, les liens se complexifient. Et il ne s’agit finalement que de cet arbre un peu branlant pour former la forêt dans laquelle chacun marche comme il peut.

Dans ce premier roman, Catherine Leroux joue gentiment avec son lecteur. Elle lui donne le droit de s’égarer un peu, et c’est sans conséquence sur sa compréhension de l’histoire. L’usage habile des pronoms est d’emblée porteur de mystère. Qui est ce il qui «marche sur des sentiers qu’il ne connaît pas»? Ce elle, «qui a aimé un homme jusqu’à s’oblitérer»? Si le lecteur se laisse mener par sa curiosité dès les premiers fragments, l’identité des personnages se consolide néanmoins tandis que s’entrelacent les aventures de chacun, tandis que se révèlent les personnalités. Ce roman se présente bel et bien telle une aventure de la lecture. Le lecteur est appelé à rétablir fragment après fragment le parcours d’une famille qui existe dans sa disparité unificatrice, comme un corps fonctionne grâce au travail de ses multiples organes.

Ce charmant regard sur l’importance des racines, sur l’appartenance, nous est livré grâce à une narration maîtrisée. Finesse, simplicité, images évocatrices, phrases déroutantes: «Il marche, et peu importe où il regarde, c’est la terre, même à travers son corps». L’émotion éclot tandis que souffrent les personnages: haine, abandon, maladie, mort. Au bout de l’expérience, le portrait familial est si bien dressé qu’on se laisse toucher par les déceptions, les échecs des uns, le départ des autres. Des événements qui ébranlent les ramifications, qui laissent dans le cœur de la famille un trou noir, comme si on retirait une case à l’arbre généalogique.

Ainsi est offert un univers entier, jonché de repères. Le temps passe, les traces demeurent. Comme cette tache de sang dont on ne connaît pas la provenance tant il y a eu de gens qui ont laissé leur marque dans la maison familiale, dans le sanctuaire des souvenirs: «Ce seuil a vu plus de sang couler qu’un hôpital ou un champ de bataille (c’est étonnant, finalement, que la tache soit si petite)». Et c’est la richesse de ces petits motifs témoignant de l’évolution d’une lignée qui pousse le lecteur à vivre l’expérience d’une famille, au profit de celle de l’individu. On ne s’attache pas aux personnages mais aux liens indéfectibles qui les unissent, des liens universels.  La réussite du roman est dans cette possibilité qu’a le lecteur de s’identifier à une forêt entière plutôt qu’à une seule pousse. Catherine Leroux transcende l’unité pour nous ramener à cette impression de la vie en tant que projet collectif.

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