Un portrait attendu

Lorsque Jean-Philippe Duval a accepté de se lancer dans le projet de porter à l’écran la vie de Dédé Fortin, il y a de cela près de cinq ans, il était mu par la volonté de rendre hommage à l’artiste que fut l’ancien Coloc. Le réalisateur n’avait alors aucune idée de la forme que prendrait le film. C’est au fil de ses recherches et de ses rencontres avec l’entourage d’André Fortin que la fiction s’est imposée d’emblée. «J’avais une matière incroyable, j’ai réalisé que je ne pourrais pas faire un documentaire à la hauteur de la complexité du personnage. Il avait une image publique qui était très forte, mais il fallait aller sous la surface, en faire un portrait intime», explique-t-il.

Pour incarner le personnage, Jean-Philippe Duval a tout de suite pensé au comédien Sébastien Ricard, qui est aussi membre du groupe Loco Locass. Au départ réticent devant la proposition, Ricard a été convaincu lors de sa rencontre avec le réalisateur. «Mon travail sur le film, ça m’a permis d’entrer d’une façon privilégiée dans l’univers des Colocs. Ce que j’appréhendais le plus, c’était les scènes de spectacle, mais ça s’est super bien passé. Le plus difficile, ça a été les scènes d’intimité, le Dédé qu’on connaît moins», mentionne le comédien.

Si le film s’articule autour de la musique, il importait au réalisateur d’illustrer l’engagement et la passion qui animaient Dédé Fortin, autant dans sa création que dans sa vie personnelle. «C’était vraiment un grand défi du film qu’il y ait une chimie entre les comédiens, pour que ça marche. Mais la synergie a été hallucinante, au-delà de mes espérances. Les comédiens étaient habités par les personnages», indique Jean-Philippe Duval. Mélissa Désormaux-Poulin, qui personnifie Sophie, l’une des copines d’André Fortin, résume l’esprit qui régnait sur le plateau : «Ça été un beau trip de gang et d’intimité.»

Au-delà du personnage
Aborder un personnage qui a eu une reconnaissance aussi grande au Québec était un projet de taille, «complètement fou», aux dires du réalisateur Jean-Philippe Duval. Conscient du défi, Sébastien Ricard avoue ne pas s’être mis trop de pression à l’idée de jouer un homme connu. «Même si c’est une histoire réelle, c’était important d’être libres d’inventer quelque chose qui nous appartienne. Parce que, au fond, c’est toujours le même travail, avoir une présence crédible, essayer d’être vrai. Le défi est toujours là», affirme-t-il. Fait sans compromis, le film traite de l’homme qu’était Dédé Fortin et des événements qui ont bouleversé son parcours, mais ouvre la porte à une réflexion plus large. Jean-Philippe Duval expose sa vision : «Aujourd’hui, on est noyé dans une culture de masse parfois superficielle, mais les poètes doivent continuer à chanter et il faut qu’on les écoute.»

Le comédien belge David Quertigniez, interprète de Vander, le bassiste des Colocs, rappelle d’ailleurs le caractère universel du message et des questionnements qu’il pose. «Je ne connaissais pas du tout l’histoire de Dédé. Pour moi, c’était d’abord un film sur la thématique du combat. C’est vraiment en tournant que je me suis rendu compte de l’impact des Colocs et de Dédé Fortin au Québec. Dédé était nourri de tous ces combats, amoureux, politique, créatif, qu’on vit avec soi-même. C’est un film qui doit sortir du Québec, qui est beaucoup plus universel», conclut-il.

Assurément crédible

Dédé, à travers les brumes débute dans un chalet en Estrie, alors que Dédé Fortin et sa bande travaillent à la création de Dehors Novembre, le dernier album du groupe, environ deux ans avant que le chanteur ne s’enlève la vie. Largement porté par la musique des Colocs, le récit retrace le parcours de son leader à travers des allers-retours dans le temps. Au-delà de la carrière musicale et du personnage public que connaît le Québec, le film propose une vue de l’intérieur, une véritable rencontre avec l’être idéaliste et passionné qu’était André Fortin à travers ses engagements et ses combats, ses relations amoureuses et les liens d’amitié qui unissaient d’abord et avant tout les Colocs.

On aurait pu craindre au départ que cette fiction ne soit pas crédible, mais il n’en est rien. Et le travail du réalisateur Jean-Philippe Duval n’est certainement pas étranger à cette réussite. La qualité du film réside en grande partie dans la force des relations entre les différents personnages, notamment l’évocation des liens d’amitié intenses entre Dédé Fortin, Patrick Esposito di Napoli et Mike Sawatsky, membres fondateurs du groupe. Si le jeu de Sébastien Ricard, qui personnifie Dédé, s’avère juste, c’est à travers la musique que l’on sent une véritable fusion du comédien avec son personnage et que son interprétation est la plus frappante d’authenticité.

Un film rempli d’humanité, à l’image de celui à qui l’on souhaitait rendre hommage, et qui revisite de belle façon l’univers d’un groupe qui a laissé sa marque dans le paysage musical québécois.
 

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