Le narrateur est roi

Antoine veut raconter la nuit qu’il a passée à errer dans Lisbonne, après que son amoureuse ait décidé de rentrer à Montréal sans lui. Mais il ne sait plus trop. Il ne sait plus trop si, cette nuit-là, il a couché avec Sara, Clara, Serena, Rita ou Susana. Ou avec personne. Il ne sait plus si c’est la première qui l’a giflé ou si c’est plutôt la dernière – ou peut-être l’ont-elles toutes giflé. Et ce n’est pas important, après tout ; on se fiche de savoir ou de comprendre. L’intérêt du roman réside dans l’effort d’Antoine de remettre en place les pièces du casse-tête. Certes, il ne réussit pas très bien. Mais en cours de processus, il pond un texte éclaté, pathétique, humoristique, étonnant. Et difficile de ne pas se passionner par ce narrateur qui jongle avec son statut comme avec des oranges, passant du « je » au « il » dans le même souffle.  

Le roman n’est donc pas ce que peuvent nous faire croire sa quatrième de couverture et ses premières pages – l’histoire à la sauce mélancolie-moderne d’un jeune adulte qui s’égare dans une ville exotique pour oublier ou retrouver une fille. Ou plutôt si, il l’est en partie. Mais, heureusement, l’auteur réussit rapidement à contourner le cliché d’une telle intrigue en mettant l’accent sur la construction plutôt que sur l’action, même si cette dernière, souvent loufoque, apporte au roman l’éclat d’humanité qui l’empêche de se figer dans la froideur d’un schéma récurrent. On ne peut alors que remercier le ciel – et Patrice Lessard – de ne pas être pris pour un poisson, et d’avoir entre les mains un récit aussi courageusement subjectif.

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