Chat d’extérieur, mauvais présage pour l’écosystème

Les chats noirs ont une bien mauvaise réputation auprès des superstitieux.se.s. Associés aux
sorcières, aux mauvais sorts, à la malchance et même aux présages de morts, ils feraient
l’objet de notre méfiance depuis qu’Héra, la femme de Zeus, ai transformé sa servante en chat
noir. Depuis ce mythe, et bien que nous les ayons domestiqués il y a quelque 10 000 ans, leur
mauvaise notoriété leur colle injustement à la fourrure avec presque autant d’insistance qu’une
puce, car soyons réalistes, ils ne sont ni augures ni amis de sorcière. Cela étant dit, si croiser un
chat, peu importe sa couleur, ne nous attire pas le mauvais œil, leur présence est tout de même
un mauvais auspice, non pas pour nous, mais pour la stabilité des écosystèmes.

Par Ludovic Dufour, chef de pupitre société

Les études sont de plus en plus nombreuses sur le sujet : les chats domestiques sont une espèce envahissante. Présents sur tous les continents, même les archipels les plus isolés ont leurs populations de chats domestiques errants. Leur cycle de reproduction rapide – une chatte peut avoir trois portées par année – rend le contrôle de leur population difficile. De plus, ils reçoivent parfois des soins et de la nourriture de notre part, ce qui favorise la survie de cette espèce plutôt que d’autres prédateurs. Outre les populations errantes, les chats gardés comme animaux de compagnie qu’on laisse régulièrement aller à l’extérieur bénéficient évidemment de bien des avantages, nourritures abondantes, abris, vaccins pour ne nommer que ceux-là. (Trouwborst, 2020) Résultat, leur nombre monte en flèche et dépasse largement celui des prédateurs de même taille. La population de chats domestiques mondiale pourrait dépasser le milliard, tandis que, selon les estimés les plus généreux, toutes les autres espèces de félins combinés ne représentent que 10 millions d’individus. (Hunter, 2015)

Chat domestique, chat errant, chat sauvage ?

On entend ici par chat domestique la race des chats des domestiques Felis silvestris catus. Les chats errants appartiennent à la même espèce, mais survivent sans l’aide de l’humain. Ce sont donc des chats domestiques par leur espèce, mais errants par leur mode de vie. Le terme chat sauvage selon le contexte peut indiquer l’espèce Felis silvestris ou n’importe quels félins semblables à un
chat vivant dans la nature. On utilisera donc dans ce texte le terme chat domestique pour désigner l’ensemble de l’espèce, peu importe s’ils ont un propriétaire ou non, chat errant pour mentionner spécifiquement les chats domestiques sans propriétaire vivant plus ou moins indépendamment du genre humain et chat sauvage pour l’espèce Felis silvestris.

Alors comment les chats domestiques sont-ils problématiques ? Principalement par la prédation. Même les chats les mieux nourris gardent un instinct de chasseur, couplé à une densité de population élevée, leur nombre de prises monte rapidement. (Trouwborst, 2020) Leurs victimes sont variées et nombreuses. Aux États-Unis, en prenant en compte seulement les estimations les plus basses, le chat domestique tuerait annuellement 1,4 milliard d’oiseaux, 6,3 milliards de mammifères, 258 millions de reptiles, et 95 millions d’amphibiens. (Loss, 2013) Au-delà de la perte directe que cela représente pour les espèces chassées, les autres prédateurs souffrent également de cette compétition, car leur nourriture devient de plus en plus rare. (Trouwborst, 2020)

Bien que les chats errants soient ceux qui chassent le plus, poussés par la nécessité, les chats ayant des propriétaires sont aussi de grands chasseurs. Certaines études évaluent qu’entre 50% et 80% des chats qui vont régulièrement à l’extérieur chassent. De plus, ils ne ramèneraient qu’entre 23% et 10% de leurs proies à leur domicile ce qui peut nous faire sous-estimer leur succès. (Trouwborst, 2020)

Mais l’effet des chats domestiques sur l’écosystème ne s’arrête pas qu’à la prédation. Le succès des migrations d’oiseaux peut être affecté par la simple présence de chats, particulièrement sur des îles isolées. Les oiseaux migra- teurs doivent trouver des endroits propices pour se reposer et trouver à manger avant de continuer leur voyage, or la présence de prédateurs, dans ce cas si de chats, peut encourager ces migrateurs à raccourcir leurs arrêts. Même en ayant un effet de prédateurs limité, les chats revoient le succès de ces voyages à la baisse. (Medina, 2014)

L’hybridation contribue également au déclin de certaines espèces proches du chat domestique. Certains chats sauvages dont la population est très basse se reproduisent avec les chats domestiques, ce qui crée des hybrides au lieu d’augmenter le nombre de représentants de l’espèce menacée. Finalement, les chats sont porteurs de maladies et de parasites qui, dans certains cas, peuvent se transmettre à d’autres prédateurs, au bétail ou aux humains. (Medina, 2014) Au total, le chat domestique a été impliqué dans la disparition de 63 espèces, deux de reptiles, 21 de mammifères et 40 d’oiseaux, c’est-à-dire 26% des extinctions contemporaines de ces groupes (Trouwborst, 2020)

Vu les conséquences dramatiques que les populations de chats domestiques, autant errantes qu’apprivoisées, ont sur l’écosystème, les scientifiques appellent à l’action. Non seulement des mesures de préventions sont souhaitables, mais les lois internationales concernant la protection des espèces menacées requièrent clairement leurs implémentations par les gouvernements. (Trouwborst, 2020) Alors quelles politiques doit-on mettre en place ?

C’est ici la partie qui ne va pas plaire aux amoureux.euse.s des chats. Les chercheur.se.s indiquent que les demi- mesures sont insuffisantes ou qu’elles ne s’attaquent qu’à une partie du problème. Bien qu’une clochette attachée au cou d’un chat réduise l’efficacité de sa chasse, il ne l’élimine pas complètement. Les clôtures conçues pour garder les chats à l’extérieur de certains territoires peuvent être détruites. La stérilisation réduit la surpopulation, mais n’enlève pas la prédation. Une étude résumant les effets des chats domestiques sur l’écosystème et l’obligation des gouvernements d’y remédier selon les accords interna- tionaux identifient les deux mesures les plus efficaces. Premièrement, l’élimination la plus complète possible des populations de chats errants. Deuxièmement, l’interdiction de l’accès à l’extérieur aux chats de compagnie. (Trouwborst, 2020)

Cependant, plusieurs détenteur.rice.s de chats s’opposent farouchement à cette idée. Dans une étude conduite dans une ruralité anglaise, 73% des propriétaires estimaient que les chats tuant des animaux sauvages ne sont pas un problème et 98% repoussent l’idée de garder leur chat sur leur terrain en tout temps (McDonald, 2015).

Encore pire, des études s’intéressant à l’impact des chats domestiques sur l’écosystème et aux méthodes pour le limité sont visées par des campagnes de discrédition. Des groupes défendant les chats errants répandent de la désinformation et cherchent à cacher l’étendue réelle du problème. Ainsi, ils cherchent à diminuer les mesures entourant le contrôle des chats de compagnie et errants. Malgré le consensus scientifique sur l’impact des chats domestiques, la présence de ces groupes à des conférences scientifiques et à des tables rondes politiques est parvenue à influencer les décisions les concernant. (Loss, 2018)

Chat d’intérieur, la solution écologique

Si nous nous sentons souvent démuni.e.s face aux catastrophes environnementales présentes et à venir, ici nous sommes bien capables d’agir ; il suffit de garder nos animaux à l’intérieur. Certain.e.s sont cependant hésitant.e.s face à cette solution. Selon elleux, les chats sont faits pour vivre à l’extérieur, ils devraient aller et venir où bon leur semble et ils seraient bien malheureux d’être enfermés à l’intérieur.

Cependant, des recherches indiquent que ce n’est pas le cas. Au contraire, les chats d’intérieur sont généralement en bien meilleure forme que les chats d’extérieur. En les laissant aller dehors, on expose nos compagnons à de
nombreux dangers. Maladies, prédateurs, combats avec d’autres chats ou accidents de la route menacent régulièrement la santé des chats lors de leurs promenades. Si les chats d’extérieur ont une espérance de vie d’environ quatre ans et demie, leurs homologues de salon en ont un de 15 ans. (Zoran, 2011)

Cela étant dit, les chats d’intérieur ont des besoins particuliers, les propriétaires doivent s’assurer que leur environnement est adéquat et stimulant à la fois pour éviter les comportements désagréables et s’assurer du bien-être de l’animal. D’abord, les expert.e.s recommandent des espaces élevés confortables où les chats peuvent fuir les sources de stress et observer leur environnement en sûreté. Leur instinct à la fois de prédateur et de proie les encourage à trouver refuge en hauteur et y fixer leurs futures prises. Plus de chats implique également plus d’espace, il est donc important d’en avoir suffisamment pour ne pas créer de compétition inutile entre les animaux. (Herron, 2010)

Ensuite, la nourriture et la manière de l’acquérir sont une bonne source de stimulation. En reliant la nourriture aux jeux, les chats peuvent satisfaire leur instinct de chasseur. Certains jouets sont spécifiquement conçus pour distribuer de la nourriture quand ils sont manipulés. On peut aussi donner des gâteries simplement quand on joue avec lui. Il faut aussi s’assurer que l’animal puisse manger dans un coin tranquille où il ne sera pas perturbé par des bruits ou d’autres animaux. Comme ils sont habitués à manger de petites proies en chasseur solitaire, il vaut mieux séparer les bols de nourriture des différents chats. (Herron, 2010)

De plus, pour éviter les comportements indésirables, on peut donner des alternatives appropriées. Par exemple des objets pour que les chats y usent leurs griffes, certains aiment bien simplement griffer l’écorce. Pour préserver nos plantes souvent victimes de nos félins, on peut en asperger les feuilles de substance désagréable au goût. Au contraire, on placera d’autres plantes, préférablement de l’herbe à chat, près des aires de repos pour encourager leur consommation. (Herron, 2010)

Finalement, comme précédemment mentionné, les jouets sont d’excellents moyens de satisfaire les instincts
prédateurs des chats de compagnie. Il faut cependant s’assurer d’y inclure des nouveautés pour garder son animal intrigué et motivé. Fournir un espace pour observer l’extérieur est un autre bon moyen d’éveiller sa curiosité, surtout si on y attire des oiseaux avec des mangeoires. (Herron, 2010)

Si rien n’y fait et que notre compagnon ne peut se passer de l’extérieur, il existe toujours des solutions pour qu’il
retrouve le grand air. On peut l’accompagner lors de ses sorties et le munir d’un harnais. De cette manière, on ne
l’expose à aucun danger et il n’est plus une nuisance pour la faune. Sinon, une cage d’extérieur fait très bien l’affaire, on le garde ainsi éloigné des menaces et de ses proies. De plus, on peut l’aménager de manière à ce qu’il soit libre de ses allées et venues vers l’extérieur.

Pour résumer, les chats domestiques menacent l’équilibre des écosystèmes et contribuent au déclin d’espèces menacées, par la prédation, leur influence sur les migrations, l’hybridation et la transmission de maladies. Les scientifiques préconisent donc l’éradication des chats errants et le confinement à l’intérieur des chats de
compagnie. Malgré les objections des propriétaires de chats, ce mode de vie ne semble pas que plus souhaitable pour l’environnement, mais aussi pour les chats eux- mêmes et il existe des moyens pour garder nos animaux heureux dans un environnement fermé. Si cet article vous semble être écrit par une personne détestant les animaux, détrompez-vous, je les adore. C’est justement pour les protéger que j’écris ces lignes. Il suffit de garder nos chats dans nos maisons pour les protéger eux et les écosystèmes.

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