Vices socialement acceptés

Avertissement : Fumer peut faire de vous un écran pratique pour détourner l’attention des vices socialement acceptés.

«Parce que je t’aime, je veux t’offrir un monde sans fumée.» Ah oui, tu renonces à ta voiture? Tu abandonnes le chauffage au bois? Oh, non… Tu fais fermer une usine pour moi? Quelle attention!

Non, suis-je bête, tu arrêtes de fumer.

Le slogan de la Semaine québécoise pour un avenir sans tabac, qui a cours jusqu’au 24 janvier, révèle bien l’obsession unique dans laquelle nous nous complaisons. Au risque d’occulter toutes les autres substances toxiques qui polluent l’air et ruinent notre santé, nous dénonçons la «fumée» qui nous encrasse, sans complément du nom, comme si elle émanait nécessairement du tabac. Comme si les fumeurs étaient les seuls coupables…

Que l’on s’entende bien : le tabagisme doit être découragé, puisque les fumées primaire et secondaire sont mortelles. Fumer est malsain sous tous ses aspects. Tous. Je vous épargne les chiffres, que l’on nous cite à outrance. Ce qui est dérangeant, c’est l’hypocrisie régnante qui fait qu’on laisse d’autres criminels de la toxicité aérienne se balader sans le moindre souci. L’acharnement qu’on met à convaincre les fumeurs d’arrêter n’a pas d’égal dans d’autres domaines, tant de la part de l’État que des individus : pourquoi se permet-on de sermonner une femme qui fume près de ses enfants, mais pas une autre qui les promène dans une voiture produisant le CO2 qui leur causera des maladies respiratoires? En fait, la pollution atmosphérique augmente les chances de symptôme de la mort subite du nourrisson et peut causer un mauvais développement des poumons chez les bébés.

Santé Canada estime que 700 000 Canadiens, d’ici 2031, seront décédés de la pollution atmosphérique, qui cause surtout des affections aiguës et chroniques des systèmes pulmonaire et cardiovasculaire. 21 000 personnes en ont été victimes en 2008. Bien sûr, cela ne représente qu’à peine la moitié des 45 000 décès qui sont attribués au tabagisme chaque année au pays. Mais la lutte au tabagisme a ses effets, et la proportion de la population qui fume baisse régulièrement et a atteint un plancher stable de 22 % au Québec. D’un autre côté, le nombre de voitures sur les routes, qui produisent la plus grande part des substances toxiques dans l’air, avec les industries et le chauffage au bois, est en constante augmentation.

Cela a-t-il poussé un médecin à refuser de soigner les automobilistes? Certains veulent refuser de s’occuper des fumeurs, mais soignent sans problème moral des patients qui ne font pas de sport ou mangent du junk food… Et celui qui a conduit un VUS et empoisonné tout le monde? Refusera-t-on de le soigner lorsqu’il crachera ses poumons, allongé sur une civière? Voilà une façon bien facile de désengorger les hôpitaux.

Je parlais d’hypocrisie. Il y en a une non seulement au sujet de la fumée, qui serait exclusivement celle de la cigarette, mais aussi au sujet des dépendances néfastes. Il n’y a pas que la cigarette qui en soit une : il existe aussi la loto et l’alcool, qui causent respectivement des dommages psychologiques et physiologiques graves. Pourtant, vous avez entendu parler d’une semaine sans alcool? En tout cas, vous devrez chercher fort sur Google pour dénicher quelque chose de semblable. Comprenez-vous pourquoi le dépanneur du pavillon Desjardins ne vend pas de cigarettes, mais des billets de loto? Pas moi. Et d’ailleurs, ce n’est pas demain la veille que le gouvernement du Québec va nous servir une campagne pub kitsch avec des vedettes de télé pour nous prévenir des dangers de ces substances qui lui rapportent de gras revenus.

Cibler les fumeurs déculpabilise les 78% de la population qui ne fume pas. S’attaquer aux voitures ferait bien plus mal. Et puisque la pression sociale a réussi à faire interdire les publicités de cigarettes, il serait bel et bien possible de faire la même chose avec les voitures.

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