Les rois du virtuel

Après des jeux vidéo de baseball, de tennis, de golf et de boxe, une console de jeux japonaise propose à ses utilisateurs un jeu vidéo leur permettant de garder la forme tout en restant dans leur salon. L’amélioration de la posture, la modification de l’indice de masse corporelle et la détente sont, entre autres, les objectifs que peuvent viser les acquéreurs de ce jeu. Mais est-ce qu’un jeu vidéo peut vraiment aider un individu à s’épanouir physiquement, et surtout, socialement?

Selon un vendeur d’une chaîne de magasins de jeux vidéo, la motivation première des parents lors de l’achat de ce jeu est qu’ils trouvent ainsi un moyen de pousser leurs enfants à faire du sport, tout en s’adonnant à leur passion : la console de jeu. Pathétique, non? Au lieu de pousser leur progéniture à s’inscrire  dans un club sportif, et donc à sociabiliser avec leurs semblables, certains parents vont préférer les voir évoluer dans un monde virtuel. Quelles sont leurs motivations? Se sentent-ils si désoeuvrés face à la situation qu’ils soient obligés d’utiliser ce subterfuge pour faire bouger leurs enfants?

Plusieurs variables entrent en ligne de compte pour comprendre ce comportement. Les personnes jouant sur des consoles de jeux n’ont plus le même profil-type que dans les années 1990. Aujourd’hui, tout le monde est susceptible de jouer aux jeux vidéo, que ce soit sur ordinateur, sur internet ou devant un écran de télévision. Cela signifie que toute la population adolescente est touchée. Ce phénomène entraîne des conséquences qui s’avèrent néfastes sur la vie d’un jeune, mais aussi sur sa famille. C’est pour cette raison que les parents se sentent un peu dépassés par la situation et essaient de trouver les solutions adéquates pour pallier ce problème. L’une d’elles est l’achat d’un jeu qui garde l’enfant en éveil, qui le stimule physiquement, mais surtout qui le pousse à échanger avec le reste de son entourage. Le jeu décrit plus haut est un jeu considéré comme familial, qui doit, soi-disant, créer une interaction entre les enfants et les parents. Le raccourci est facile : l’achat de ce jeu est peut-être l’une des solutions aux problèmes de communication dans la famille. Et c’est bien mieux que la télévision, devant laquelle les échanges verbaux sont inexistants.

De ce point de vue, il est compréhensible que les parents aient pu choisir une telle solution. Mais lorsqu’il s’agit de remettre le contexte dans une optique plus large, et donc sociétale, pourquoi décider de complaire un enfant dans son isolement virtuel? Pourquoi ne pas l’obliger à s’inscrire à des activités sportives, le poussant à communiquer avec ses contemporains? Un début d’hypothèse me vient à l’esprit : la société actuelle nous apprend à ne pas bousculer nos chères petites têtes blondes et à ne surtout pas faire preuve de coercition à leur égard. Si enfant ne veut pas, parents ne forcent pas. Donc, mieux vaut accepter de le voir niaiser à la maison des heures durant, les yeux fatigués par la télévision, plutôt que de l’envoyer à l’extérieur faire du sport, pour vrai. Le sacro-saint concept de l’enfant-roi.

Il est difficile de condamner un tel comportement. Je comprends la détresse dans laquelle peuvent se trouver certains parents. Le clash des générations a créé une incompréhension entre eux et leurs rejetons, un gouffre difficile à remblayer. De plus, la réforme de l’éducation, qui prône le développement personnel de l’enfant, plus que l’apprentissage des connaissances de base et de la hiérarchie, n’aide en rien les parents à asseoir une certaine autorité et à trouver un indice dans leur quête de compréhension de leurs jeunes. Sommes-nous en train de créer un nouveau type de citoyen asocial et déconnecté de la réalité?

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